Pourquoi (selon les occidentaux) les Russes ne sourient pas ?

DANS LA PRESSE
Huffington-Post-NewPointDeView-new-point-de-view-Anton-MalafeevCet article a été republié (en version abrégée) le 23.09.14 dans LE HUFFINGTON POST

 

sourire-russes-selon-occidentauxLe sourire russe a une nature complètement différente, pour ne pas dire, opposée à celle dans les pays occidentaux. Du point de « view » des européens les Russes sont moroses, maussades et non souriants.

Ce phénomène est lié avec le mode de vie non- (ou beaucoup moins) souriant des Russes, qui est un trait caractéristique de la spécificité comportementale non-verbale, ainsi que de la communication en général.

Voici ces spécificités et différences culturelles.

 

 

Sourire russe vs. occidental

En Russie le sourire n’a pas la signification de politesse et/ou de respect.

Contrairement aux occidentaux qui se sentent naturellement obligés d’afficher un sourire (et en attendent un en retour à tout prix !) pour se montrer courtois et civilisés. Par exemple, les auteurs russes ont souvent qualifié le sourire américain de bizarre et faux. Maxime Gorky (1868-1936) écrivait « la seule chose que l’on voit sur les visages américains ce sont leurs dents ». Les comiques contemporains l’appellent « chronique » (Mikhail Zadornov) et le considèrent comme “la séquelle d’une décharge électrique” (Mikhail Zhvanetsky).

Dans le domaine du service des pays occidentaux, comme orientaux, le sourire a une fonction de politesse (et de vente ?) incontournable. Proverbe chinois : « celui qui ne sait pas sourire – ne pourra pas tenir une affaire ». Au Japon, dans les grands supermarchés des jeunes femmes sont postées devant les escalateurs pour sourire et s’incliner devant chaque passant (ou acheteur potentiel) — 2.500 sourires et inclinaisons par jour…

Dans certaines cultures le sourire est utilisé pour préserver son interlocuteur de la désolation liée à la perception de l’information racontée. Ainsi, Ilya Ehrenbourg (1891-1967) mentionne dans ses mémoires un chinois lui ayant annoncé la mort de sa femme avec le sourire. Ce sourire de politesse signifiait « vous ne devez pas vous chagriner, ceci est ma peine ».

Dans la communication comportementale russe le sourire de respect n’est pas acceptable, voire même a une perception inverse. Les Russes vont avoir une réaction plutôt suspicieuse et repoussante en réponse au sourire respectueux. L’expression russe « il sourit par respect » contient un sentiment de désapprobation envers la personne.

Le « smile collé » (le sourire constamment présent) chez certains occidentaux est appelé par les Russes le “sourire de service” (ou sourire de garde) et il est considéré comme un mauvais trait de caractère, une expression de la mauvaise foi, dissimulation, une réticence à exprimer ses vrais sentiments.

En Russie il n’est pas conventionnel de sourire à des inconnus.

Les sourires sont destinés principalement à des connaissances. La réaction naturelle d’un russe en réponse au sourire d’un inconnu : « on se connait ? ».

Il n’est pas classique de répondre à un sourire par un sourire.

Lorsqu’on sourit à un russe – il va automatiquement et naturellement chercher la raison pour laquelle on lui sourit. Et si ce sourire n’a pour lui aucune raison plausible sur le moment, il considérera le souriant comme un faux cul.

Ce n’est pas naturel de sourire en croisant le regard de quelqu’un.

Bien au contraire le russe va détourner le regard sans émotions. De même, il n’est pas coutumier du tout de sourire en regardant ensemble les petits enfants ou les animaux.

 

 

La nature du sourire russe

Le sourire russe se fait uniquement avec les lèvres.

La rangée supérieure des dents étant rarement perceptible. Le sourire américain, à 32 dents, est considéré dans la culture russe comme désagréable, vulgaire et porte le nom de rictus ou de sourire chevalin.

sourire-russes-selon-occidentauxIl est le signal de tendresse et/ou de bonne relation.

Il fait preuve d’une sympathie interpersonnelle et, par conséquent, est naturel et fondé – la chose, dont ne peut pas toujours se vanter la société occidentale …

Un des premiers chocs culturels qu’un russe subit en arrivant dans les « pays souriants », il constate que tout le monde sourit tout le temps. D’un côté cela paraît agréable et très courtois, cela tout de suite donne l’impression que tout le monde est très aimable, amical et sincère. Seulement au bout de quelques jours / semaines la désillusion assombri quelque peu la culture latine. Le plénipotentiaire du peuple « morne et froid » se rend compte que les Occidentaux sont capables de sourire dans les yeux tout en détestant la personne, dire du bien avec le sourire artificiel et anéantir la personne dans son dos. En d’autres termes, il réalise que la société occidentale est atteinte du syndrome d’hypocrisie aiguë – la chose qui ne le fait pas sourire davantage.

Il est l’expression de la bonne humeur et sensé n’être que sincère.

Inconsciemment les Russes ne sourient qu’étant véritablement de bonne humeur et/ou entourés des gens qui leur sont agréables. Or, le sourire doit avoir une vraie raison. Pas de semblant. Il existe même un dicton russe stipulant « Le rire sans raison est révélateur d’idiotie ».

La raison de sourire doit être transparente et compréhensible à l’entourage. Dans le cas contraire ce dernier peut abréger le plaisir : « Qu’est-ce que t’as à sourire ? ». Par ailleurs, la frontière entre le sourire et le rire dans la culture russe est quasi inexistante. Si vous souriez dans les yeux d’un russe, vous pouvez entendre « Qu’est-ce que j’ai dit de drôle ? » ou « Je ne vois pas qu’est-ce qu’il y a de drôle… ».

InfoLe fait intéressant : la racine du mot смеяться (smejatsa – rigoler) est la même dans les langues slaves, mais aussi en sanskrit smayaty (sourire), en anglais smile (sourire). Seulement dans la langue russe cette racine a donné rire et non pas sourire.

sourire-russes-selon-occidentauxLa prémisse digne de sourire dans la mentalité russe est essentiellement le bien-être matériel. Ainsi, en absence de la bonne humeur et de prospérité dans la culture russe on ne sourit pas. Il n’est pas coutumier de sourire ou rire si à proximité se trouve une personne en deuil ou avec de sérieux problèmes (quels qu’ils soient). Vous l’aurez compris – dans la majorité des situations on ne sourit pas en Russie.

En revanche, dans le cadre officiel les Russes vont au contraire sourire davantage, paraissant bizarre aux occidentaux. Car justement dans ce cadre-là les gens sont réunis pour quelque chose de positif et, à priori, sans mauvaises intentions. Or, l’attitude amicale du cadre officiel doit être réconfortée par le sourire.

Le manque de sourires dans la vie de tous les jours en Russie (et non pas la morosité, puisque les Russes généralement sont joviaux et pleins d’esprit) est largement confirmé par le folklore russe à travers des dictons et proverbes « contre » le rire et les blagues.

 

 

Les vestiges de l’époque soviétique

Il n’est pas d’usage à ce que les enfants sourient en cours.

Les adultes éduquent leurs enfants : « ne rigole pas bêtement, sois sérieux à l’école et lorsque les adultes s’adressent à toi ». Les professeurs disent aux élèves « tu rigoleras plus tard, en attendant – travaille ! ».

Il n’est pas d’usage de sourire pendant le service.

Le premier choc culturel en arrivant en Russie est l’accueil à l’aéroport. Les douaniers et le staff de l’aéroport paraissent froids et non aimables. En réalité, ils font leur travail face aux inconnus, le travail qui (pour eux) ne comporte rien de drôle. Ils restent sérieux en accomplissant leurs tâches. Cela concerne les vendeurs, les serveurs, et tout autre corps de métiers.

Il ne faut pas oublier que la politique profondément totalitaire des communistes pendant 70 ans (c’est-à-dire 3-4 générations) n’a pas arrangé les choses dans la mentalité du peuple russe, comme des autres républiques satellites, formant aujourd’hui la CEI. Sur ce sujet nous avons publié plusieurs articles expliquant l’URSS de l’intérieur – ils peuvent vous faire comprendre beaucoup plus en profondeur les raisons de vie sans sourire ancrées dans les esprits de ce peuple.

Aujourd’hui, pour obtenir le sourire du staff russe, il faudra mettre en place une “règle professionnelle”. Le sourire naturel au travail est quasi impossible.

Bien qu’aujourd’hui, avec l’ouverture sur le monde extérieur après la chute du rideau de fer, ces usages ne sont pas aussi rigides. Beaucoup de Russes voyagent, regardent les séries occidentales et se rendent compte des différences culturelles. Néanmoins, la culture est une panoplie d’habitudes, de croyances et une façon de voir le monde qui ne se modifient pas en une année.

 
Cet article est partiellement basé sur la publication dans www.drugie.ru. Iosif Sternin est professeur de philologie à l’Université d’Etat à Voronej. Ses recherches sur le sujet ont été largement publiées dans les médias russes.

 

Épilogue

sourire-russes-selon-occidentauxIl faut garder à l’esprit que les faits consignés dans cet article explicatif sont véridiques, mais ne peuvent pas et ne doivent pas être aveuglement appliqués à la réalité. Les gens sont différents (même les Russes…) et les réactions, qu’on parle du sourire ou d’autres choses, sont différentes. Certains sourient plus, d’autres moins. Nonobstant, un constat est logique et probablement applicable à toutes les cultures du monde – une régularité inversement proportionnelle : moins la personne a de problèmes dans la vie, plus fréquent est son sourire.

Globalement le sourire russe aujourd’hui est devenu plus présent et plus fréquent. Les vendeurs sont devenus plus souriants et plus aimables qu’à l’époque d’URSS. Dans les rues les Russes ne sourient toujours pas sans raisons, sauf s’ils tombent sur leurs amis ou si une question leur est posée, même par un inconnu. Dans les grandes villes, plus ouvertes que les coins reculés, la population sera forcément davantage souriante.

Cette étude de Iosif Sternin, un peu dépassée pour nos jours, explique bien les racines et les raisons de la “non-souriance” russe. L’avenir montrera si les Russes un jour sourirons autant que les Occidentaux ou même plus, comme les Américains.

Personnellement, après près de 20 ans d’expatriation (les études, la vie privée et professionnelle), je ne me détacherai jamais du sentiment de l’hypocrisie que dégagent pour moi les sourires synthétiques, non sincères et omniprésents en toutes circonstances en Occident, et notamment en France. Autant j’ai appris à sourire en réponse et dans bien d’autres circonstances susmentionnées, autant lorsqu’on me dit “tu ne souris pas assez”, je réponds “c’est toi qui souris trop…”.

Je continue à sourire lorsque j’ai vraiment envie, lorsque la situation et/ou les personnes sont vraiment plaisantes, et lorsque le sujet est vraiment drôle à mon sens. En d’autres termes, mon sourire est sincère et fondé ! Selon ma perception du monde et selon ma culture natale…

 

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