Le rêve, meilleur ambassadeur de la psychanalyse

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Un trentenaire consulte un jour pour se plaindre d’un « putain de rêve qui le hante ». Il raconte : « presque tous les jours, ou au moins deux fois par semaine, exactement avant de me réveiller, je dois faire quelque chose : aller quelque part, faire un truc, rencontrer quelqu’un etc.  Et je me prépare pour le faire. Seulement la préparation se transforme en quelque chose d’infinie qui tourne en rond, parce qu’à chaque fois je n’arrive pas à finir ma préparation, les choses tournent mal, je ne parviens pas à mener ma préparation à bien, jusqu’au bout. Le résultat : je me réveille en me préparant sans avoir rien fait, sans être allé quelque part, sans avoir rencontré quiconque… ». Il ajoute : « en vous racontant tout cela, je ne sais pas pourquoi, j’ai presque envie de pleurer ».

Dans son ouvrage fondateur de la psychanalyse, « L’interprétation du rêve » parue en 1900, Sigmund Freud écrit : « le rêve est une production de l’âme qui rêve ». Mais la véritable innovation clinique, outre la mise à jour des mécanismes de « condensation », de « déplacement », de la « prise en considération de la présentabilité » et des « élaborations secondaires », réside, comme il l’expliquera plus tard dans sa « Nouvelle suite des leçons d’introduction à la psychanalyse », dans la découverte du fait que « le rêve montre la manière, dont notre âme travaille pendant l’état de sommeil ».

 

Un subtil travail destiné à satisfaire simultanément deux fonctions, par surcroît contradictoires : le travail du rêve doit tout d’abord permettre aux pensées latentes, profitant de « l’état de sommeil qui rend possible la formation du rêve en abaissant la censure endopsychique », de laisser passer un « accomplissement de désir » trouvant sa source dans « l’exigence de l’infantile et du sexuel ». Mais il doit aussi préserver le sommeil du rêveur et, en cela, rappelle l’œuvre d’un scénariste chargé d’adapter un roman trash, pornographique ou gore : comment le rêveur pourrait-il en effet supporter de voir en images ses

Les rêves d’angoisse mettent en évidence un matériel sexuel
desseins les plus sombres, ses désirs les plus inavouables sans risquer de se réveiller ? Le cauchemar qui provoque le sursaut en pleine nuit, le cœur palpitant, signe l’échec de ce travail du rêve : des rêves d’angoisse qui « mettent en évidence un matériel sexuel » précise Freud.

L’expérience clinique montre tous les avantages consistant à inviter le patient à « associer librement » sur ses rêves : nombreux sont d’ailleurs les analysants(tes) des premiers temps qui retrouvent une capacité à rêver après une longue période d’abstinence onirique. Lié au souvenir infantile, il en revêt une incontestable valeur, en tant que modèle des « processus primaires », pour les « perlaborations » sur le divan : « rien de ce que nous avons possédé une fois en esprit ne peut se perdre totalement ».
En témoignent, par exemple, des rêves récurrents sur des difficultés de passage au travers de goulot, de chenal ou de dalle, autant de réminiscences sur les complications d’une naissance lors du passage par le col utérin.

 

 

Interprétations

D’où l’importance de l’interprétation au cours de la séance. Le psychanalyste n’est toutefois pas l’oracle de Delphes : comme Freud le précise dans son ouvrage, et « contrairement à la technique des Anciens », c’est « au rêveur lui-même que la technique impose le travail d’interprétation ». Une technique qui veut tenir compte « de ce qui vient à l’idée du rêveur à propos de l’élément concerné du rêve ». En cela réside la « voie royale d’accès à l’inconscient ».

L’existence d’un sens qui est à retrouver et non à créer
Encore faut-il bien saisir la notion allemande de « Deutung » dont la traduction française par « interprétation » laisse de côté un certain réalisme, alors que le concept suppose « l’existence d’un sens qui est à retrouver et non à créer » selon le Professeur Jean Laplanche, traducteur des œuvres complètes de Freud. Interpréter pour Freud, c’est prendre le récit d’un rêve comme un texte, certes particulier compte tenu du processus onirique, et le parcourir en sens inverse, « aller du sens manifeste au sens latent qui le fonde ». Et ce, malgré le « symbolisme », mode à laquelle Freud a partiellement succombé dans l’enthousiasme des premières découvertes analytiques et sous l’influence de certains de ses collaborateurs : une mode illustrée par les adjonctions dans plusieurs des huit éditions successives de la « Traumdeutung ».

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Le travail d’interprétation dépasse donc le simple cadre d’une herméneutique, tentation illusoire d’aboutir à une synthèse valable en tout temps et en tout lieu, et qui verserait, comme la « Clef des songes » d’Artemidore de Daldis, dans une grille universelle de lecture.
Jung et l’Ecole de Zürich suivent quant à eux, une autre voie : celle « anagogique » qui prétend renverser l’interprétation freudienne en revenant à la tradition du « médecin de l’âme » ou à celle du « directeur de conscience ». Celui qui interprète dans l’acception jungienne doit amener le patient à une sorte d’élévation spirituelle conçue dans un cheminement à la fois collectivement symbolique et d’inspiration religieuse. Ce contre quoi Sigmund Freud a toujours lutté.

L’interprétation du rêve reprend les deux règles fondamentales de la méthode analytique : celle de la « libre association » et celle de « l’attention également flottante ».  Avec leur conséquence : entendre le récit du rêve de ces deux manières consiste à ne pas privilégier une partie contre le tout ou l’inverse, et ne pas non plus donner plus d’importance à un élément du rêve par rapport à un autre. Ce que Freud a nommé « renversement de toutes les valeurs psychiques dans le rêve ».
Pratiquement, le récit du rêve doit équitablement considérer les personnages, les lieux, le déroulement de l’action, le blanc ou le silence qui vient « trouer » le récit  –  « à ce moment là, je ne sais plus ce qui s’est passé » racontent souvent les patients manifestant de cette manière un refoulement plus puissant et souvent le corolaire d’une motion à contenu sexuel – mais aussi le ressenti, l’impression : il arrive très souvent que l’analysant(e) ne se souvienne pas du rêve comme représentation, comme image mais manifeste la certitude d’un éprouvé comme la peur, la jouissance, la faim, la jalousie…

C’est aussi la raison pour laquelle le psychanalyste peut parfois inviter le patient à raconter à nouveau son rêve. Il arrive – presque systématiquement – soit qu’un élément omis dans le premier récit affleure lors du second soit, au contraire, qu’un élément disparaisse lors de la nouvelle version : l’analyste doit alors bondir sur cette pépite comme le « lion ne bondit qu’une seule fois sur sa proie ». C’est peut-être pour cette raison que Freud a dans un texte tardif préféré introduire le terme de « construction », lorsque vient le temps de rassembler les éléments épars du rêve sur plusieurs séances.

 

 

Rêves-types

Les premiers rêves d’un analysant, éventuellement sur son analyste, annoncent souvent sa faculté transférentielle à quitter le face à face et à s’allonger sur le divan. Les « rêves-charnières » traduisent des paliers dans le processus de travail analytique. Existent aussi des rêves de mort de personnes encore bien vivantes afin de provoquer une rencontre inavouable avec un être aimé lors des funérailles de la personne en question. Ou bien encore des rêves consolatoires de conversations animées avec des disparus de longue date afin de leur dire tout ce qui est demeuré tu trop longtemps.

Certains rêves trahissent le sentiment d’une naissance mal accueillie lors d’une grossesse non désirée ou du rejet du sexe de l’enfant par l’un des parents : ainsi une analysante qui rêve « qu’elle se déplace dans des conduites humides et sombres au bout desquelles elle apparaît, nue et en pleine lumière, devant des personnes qui la regardent avec curiosité ». Après un court instant, la rêveuse se dit à elle-même dans le rêve : « il faut que je retourne d’où je viens pour aller mettre un pantalon » — elle n’était pas le petit mâle tant attendu. Les rêves où l’on s’échappe de son corps trahissent souvent un trauma de nature incestueuse.

Il existe aussi des « rêves de guérison » modifiant l’issue du scénario angoissant d’un rêve répétitif de l’enfance, ou le rêve lucide et authentique par une anorexique de repas pantagruéliques qu’elle s’apprête à déguster avant que ne surgisse justement un obstacle qui fait sens pour son dégoût de la nourriture.
Le rêve propose une énigme dont chaque rêveur possède la clé. Il témoigne surtout lorsque l’on parvient à s’en souvenir au petit matin, d’une bonne communication entre les instances psychiques. A ce titre, le rêve, restera encore et pour longtemps, le meilleur ambassadeur de la psychanalyse.

Nice, le 29 septembre 2014
Jean-Luc Vannier

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1 reply
  1. Charline54
    Charline54 says:

    Article très intéressant et plaisant à lire :). En parlant de rêves, n’hésitez pas à venir partager les vôtres ici : premier réseau social de partage de rêves pour mobile :).

    Répondre

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