Intelligence interculturelle: l’impératif de l’éducation nationale

DANS LA PRESSE
Les-Echos-Le-Cercle-NewPointDeView-new-point-de-view-Anton-MalafeevCet article a été republié (en version abrégée) le 21.07.15 dans Les Echos Le Cercle

 

« La culture est la manière de penser, de sentir et de réagir d’un groupe humain, surtout acquise et transmise par des symboles, et qui représente son identité spécifique : elle inclut les objets concrets produits par le groupe. Le cœur de la culture est constitué d’idées traditionnelles et des valeurs qui lui sont attachées. »Clyde Kluckhohn (1905-1960) - anthropologue américain

L’économie, devenue depuis des lustres inaliénable de notre existence, régit tous les aspects de la vie, lorsqu’on y pense. A travers la finance elle gouverne et vassalise tout. Au siècle dernier il est devenu naturel et même à la mode d’étudier l’économie, afin de comprendre le fonctionnement du “rich man’s world” et devenir un bon business-élément. En tant qu’outil supplémentaire et non-négligeable pour les affaires, étudier une langue étrangère pour travailler et/ou s’expatrier est devenu aussi une normalité, puis une obligation.

Les langues étrangères sont enseignées dans les écoles, collèges, universités et entreprises — bref partout (le niveau d’enseignement en est un autre débat). Cependant, encore aujourd’hui dans ce “global world”, malgré le lien logique entre les langues et les cultures, l’interculturel de manière générale continue à être vu comme quelque chose de vague et d’irrationnel. Le monde de l’entreprise (ou plus étroitement de la gestion) est traditionnellement très réfractaire aux différences culturelles. Les immigrants sont également souvent dans le déni de ces dernières. Bien que globalement une tendance de prise de conscience serait à noter.

intelligence-interculturelle-imperatif-education-nationaleL’intérêt de se familiariser avec l’interculturel (cross-cultural en version anglo-saxonne) ne consiste pas aux connaissances théoriques conceptualisées par des chercheurs doctorants ayant écrit des pavés de 500 pages vendus dans les librairies au prix de cinq kilos du meilleur steak charolais. Dans la mondialisation frénétique et généralisée, pour l’heure diagnostiquée sans appel, le savoir de communiquer convenablement avec les cultures étrangères relève d’une nécessité — constatée de plus en plus et qualifiée comme inévitable par des acteurs économiques de tous calibres.

Or, dans la globalisation, mise sur un piédestal par les gouvernements et le monde corporate, la préparation à la communication (“civile” ou professionnelle) avec les cultures diverses, ou à l’expatriation, ne se résume point aux bases de grammaire et au vocabulaire de 200 unités lexiques, ou 300 pour les bons élèves. L’art de la communication interculturelle – plus largement l’intelligence interculturelle – en dehors des langues consiste surtout :

  • en grilles de lecture du comportement des interlocuteurs étrangers qui, lui, est fonction des valeurs de la société dans laquelle ils baignent et ont été éduqués (i.e. leur mentalité),
  • en décryptage de ses univers et compréhension de leurs enjeux et processus,
  • en décodage d’autres modes de communication et en adaptation à ces derniers.
Ce vaste ensemble devrait accompagner tout apprentissage linguistique de manière académique obligatoire, afin d’élargir le regard des enfants et préparer ces futurs adultes aux réalités du monde d’aujourd’hui.

Au-delà de toute polémique intellectuelle et des constats d’urgence de rattrapage culturel dans les entreprises (privées, comme publiques), manifestement jusqu’à présent l’intelligence interculturelle, en tant que discipline, n’intéressait qu’un petit monde – comparé aux langues obligatoires dans toutes instances de l’éducation nationale ou privée. Or, en dépit de la complexité du débat interminable autour de l’éducation nationale — il ne s’agit pas de rajouter une nouvelle matière au programme scolaire existant, mais d’offrir davantage de compétences communicationnelles, ainsi que d’outils et d’aptitudes indispensables dans un milieu multiculturel, aujourd’hui omniprésent.

Le fait de constater les différences des cultures ne signifie pas de les juger, mais au contraire les comprendre et analyser, afin d’adapter et améliorer les mécanismes de communication dans un milieu éclectique. Ces outils et connaissances appris relativement tôt – dès l’école primaire et non pas à l’université, ou en formation continue – à terme donneraient les germes dans le conscient collectif garantissant une ouverture d’esprit supérieure généralisée, une capacité de recul et de comparaison et, par conséquent, de réflexion supplémentaire dans les relations interhumaines.

info-2L’éthique interculturelle ne relève pas de la théorie pure se résumant aux connaissances anthologiques insipides à enseigner et à apprendre. C’est avant tout le savoir-vivre et le savoir-être interpersonnel et donc social, le savoir de communication intelligible et les capacités d’adaptation aux milieux cosmopolites. C’est un savoir tout entier à base de cultures, d’histoire, d’anthropologie, de géographie … et de langues, qui n’en constituent qu’une partie.

Depuis quelques années les voix se lèvent pour observer la conjonction de deux intelligences : économique et interculturelle, parlant ainsi de leur raison d’être indissociable. Nous voici au tout début ? L’économie refait surface, cette fois indissociable de l’interculturel, qui donc s’avère aussi indispensable dans tous les aspects de la vie ? — CQFD …  Il est grand temps de passer au niveau supérieur : les langues ne sont qu’un moyen et l’intelligence interculturelle est le know-how.

Le monde change, les rapports de force de tous ordres également, et ils ne changent pas selon notre désir, notamment celui de l’occidentalisation du monde que naïvement nous postulions. L’intelligence culturelle, comme l’intelligence économique, sont des urgences pour nos économies et nos entreprises, notamment nos PME et les filiales de nos grands groupes.Ludovic Jeanne, professeur - EM Normandie, La Tribune le 30.08.11

 

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