Le coronavirus traduit en musique… Vous êtes sérieux ?

La science vous présente le coronavirus (SRAS-CoV-2) en musique…  What else ?

Le chercheur et professeur d’ingénierie McAfee au MIT, Markus J. Buehler, avec son équipe travail depuis quelque temps sur la sonification de matériaux biologiques et de systèmes vivants. Ici, nous avons le résultat musical de la surface protéinique du coronavirus : les protéines dites «Spikes», ou S, qui composent le SRAS-CoV-2, ainsi que leurs liaisons.

Ecoutez pendant la lecture
  • En écoutant cette « musique » on peut légitimement se demander comment est construit (par l’homme) l’algorithme qui a transformé une suite interminable de symboles chimiques, mathématiques, biologiques et que sais-je encore… pour parvenir à cette espèce de polyphonie qui est, on dirait, sortie droit du cahier des menuets de Bach.
  • Sur quoi se base le choix des instruments, par exemple ?
  • La mélodie en elle-même est assez harmonieuse, ce n’est pas un ensemble de sons disparates qui formerait une cacophonie insupportable à l’oreille et à l’esprit. La question qui émerge assez rapidement : ne serait-ce un artifice mathématique intégré dans l’algorithme afin d’embellir toute mélodie et harmonique selon les règles du solfège ?
  • Qu’est-ce qui définit le rythme ?
  • Qu’est-ce qui fait que vers la huitième-neuvième minutes la mélodie se modernise un peu ?
  • Et après la dixième minute elle devient très simpliste au point de ressembler presque à un orchestre symphonique qui s’échauffe et s’accorde avant le concert dans sa fosse d’orchestre ?
  • Qu’est-ce qui se passe dans l’enchaînement de l’algorithme — ou dans la suite des symboles des protéines — à 40:07 ou 47:44 ?
  • Qu’est-ce qui fait que la suite ressemble davantage à un débutant arrachant les cordes sur sa guitare comme il peut ?

Le saviez-vous ?

La sonification est une technique de représentation et l’émission de données sous forme de signaux acoustiques non verbaux aux fins de la transmission ou de la perception d’information (à ne pas confondre avec l’ultrasonification utilisée en sonochimie). Ses cas d’application les plus illustratifs sont les suivants :

  • le détecteur de métaux et le compteur Geiger ;
  • le sonar ;
  • les appareils médicaux ;
  • les instruments de cockpit ;
  • les altimètres et thermomètres (incl. industriels) audio ;
  • les instruments de détection d’activité volcanique ;
  • les techniques de surveillance de phénomènes météorologiques ;
  • la sonification interactive.

En raison des contraintes de temps qui croissent et de la nécessité de percevoir un nombre élevé de phénomènes simultanément, la sonification constitue une alternative ou un complément intéressant aux techniques de représentation visuelles d’information, et elle gagne en importance dans diverses disciplines. À l’instar de la visualisation, la sonification trouve des applications scientifiques, industrielles, didactiques, esthétiques et artistiques. Elle permet à un individu de percevoir par voie auditive des structures, de se représenter des relations (p. ex. des relations de causalité) ou d’identifier et suivre certaines règles. De nos jours la sonification trouve notamment de plus en plus une application dans les interfaces homme-machine.

Qui fait ça et comment ?

Markus J. Buehler est compositeur de musique expérimentale, classique et électronique, avec un intérêt pour la sonification. En utilisant une approche appelée «matériomusique», son travail artistique explore la création de nouvelles formes d’expression musicale – telles que celles dérivées de matériaux biologiques et de systèmes vivants – comme un moyen de mieux comprendre la science et les mathématiques sous-jacentes. L’un de ses objectifs est d’utiliser la conception musicale et sonore comme une façon nouvelle et abstraite de modéliser, d’optimiser et de créer de nouvelles formes de matière de bas en haut, et d’évaluer les relations de conception intersystèmes. Il s’intéresse également à la recherche pour explorer les relations entre la musique classique, les mathématiques et les sciences physiques et biologiques, et à la cartographie des modèles de conscience à travers les systèmes. Dans des travaux récents, il a développé un nouveau cadre pour composer de la musique basée sur des protéines – qui sont les molécules de base de toute vie, ainsi que d’autres phénomènes physiques tels que la fracturation. Cela permet d’explorer les similitudes et les différences entre les espèces, les échelles et entre les modèles philosophiques et physiques.

L’objectif des recherches de Buehler est de créer de nouveaux matériaux biologiques pour des applications durables et non toxiques. Dans un projet avec le MIT-IBM Watson AI Lab, Buehler recherche une protéine pour prolonger la durée de conservation des denrées périssables. Dans une nouvelle étude dans Extreme Mechanics Letters, lui et ses collègues proposent un candidat prometteur : une protéine de soie fabriquée par les abeilles pour une utilisation dans la construction de ruches. Dans une autre étude récente, dans APL Bioengineering, il est allé plus loin et a utilisé l’IA pour découvrir une protéine entièrement nouvelle. Alors que les deux études étaient imprimées, l’épidémie de Covid-19 montait en flèche aux États-Unis et Buehler a tourné son attention vers la protéine de pointe du SRAS-CoV-2, l’appendice qui rend le nouveau coronavirus si contagieux. Lui et ses collègues tentent de décortiquer ses propriétés vibratoires à travers des spectres sonores moléculaires, qui pourraient détenir une clé pour arrêter le virus.

Nous avons formé un modèle d’apprentissage en profondeur sur la Protein Data Bank, qui contient les séquences d’acides aminés et les formes tridimensionnelles d’environ 120 000 protéines. Nous avons également utilisé la plate-forme pour prédire la structure des protéines qui n’existent pas encore dans la nature. C’est ainsi que nous avons conçu notre toute nouvelle protéine dans l’étude APL Bioengineering.

Pour les profanes du commun des mortels, il est difficile de comprendre et d’apprécier — de manière cohérente et rationnelle — si ce genre de recherche ne conduirait pas, à terme, à des conséquences bien plus graves que des objectifs créatifs et utiles, pour lesquelles ces recherches sont menées. Car, notamment, la création des protéines (et des substances plus généralement) n’existant pas dans la nature n’est peut-être pas forcément l’idée la plus brillante que l’Homme ait pu avoir. Toute nouveauté, qu’elle soit simple ou complexe, possède obligatoirement un revers de la médaille. Or, il est extrêmement difficile de prendre en compte — en avance — la totalité de ce revers pour modéliser tous les tenants et aboutissants des enchaînements qui peuvent s’en suivre.

Les protéines qui composent tous les êtres vivants prennent vie avec la musique.

Voici une partie de la réponse aux interrogations que j’ai évoquée au début.

Nos cerveaux sont excellents dans le traitement du son ! D’un seul coup, nos oreilles captent toutes ses caractéristiques hiérarchiques : hauteur, timbre, volume, mélodie, rythme et accords. Nous aurions besoin d’un microscope de grande puissance pour voir les détails équivalents dans une image, et de toute façon nous ne pourrions jamais tout voir en même temps.

En règle générale, le son est produit en faisant vibrer un matériau, comme une corde de guitare, et la musique est créée en arrangeant les sons selon des modèles hiérarchiques. Avec l’IA, nous pouvons combiner ces concepts et utiliser les vibrations moléculaires et les réseaux de neurones pour construire de nouvelles formes musicales. Nous avons travaillé sur des méthodes pour transformer les structures protéiques en représentations audibles et traduire ces représentations en nouveaux matériaux.

Concernant le coronavirus :

Son pic de protéines contient trois chaînes de protéines repliées en un motif fascinant. Ces structures sont trop petites pour que l’œil puisse les voir, mais elles peuvent être entendues. Nous avons représenté la structure physique des protéines, avec ses chaînes enchevêtrées, comme des mélodies entrelacées qui forment une composition multicouche. La séquence d’acides aminés de la protéine spike, ses modèles de structure secondaire et ses plis tridimensionnels complexes sont tous présentés. Le morceau résultant est une forme de musique de contrepoint, dans laquelle les notes sont jouées contre des notes. Comme une symphonie, les motifs musicaux reflètent la géométrie intersectée de la protéine réalisée en matérialisant son code ADN.

En écoutant, vous pourriez être surpris par une tonalité agréable, voire relaxante. Mais elle trompe notre oreille de la même manière que le virus trompe nos cellules. C’est un envahisseur déguisé en visiteur amical. Grâce à la musique, nous pouvons voir le SARS-CoV-2 sous un nouvel angle et comprendre l’urgence d’apprendre le langage des protéines.

En d’autres termes :

À plus long terme, la traduction des protéines en sons donne aux scientifiques un autre outil pour comprendre et concevoir des protéines. Même une petite mutation peut limiter ou augmenter le pouvoir pathogène du SRAS-CoV-2. Grâce à la sonification, nous pouvons également comparer les processus biochimiques de sa protéine de pointe avec les coronavirus précédents, comme le SRAS ou le MERS.

La compréhension de ces modèles vibratoires est essentielle pour la conception de médicaments et bien plus encore. Les vibrations peuvent changer en fonction d’augmentation de température, par exemple, et elles peuvent également nous expliquer pourquoi la pointe du SRAS-CoV-2 est attirée davantage vers les cellules humaines que d’autres virus. Nous explorons ces questions dans le cadre de recherches en cours avec mes étudiants diplômés.

Et enfin un point intéressant : je ne me suis pas trompé, j’y ai bien entendu la polyphonie propre au Bach.

Vous pouvez considérer la musique comme une réflexion algorithmique de la structure. Les variations Goldberg de Bach, par exemple, sont une brillante réalisation de ce contrepoint, un principe que nous avons également trouvé dans les protéines. Nous pouvons maintenant entendre ce concept tel que la nature l’a composé et le comparer aux idées de notre imagination, ou utiliser l’IA pour parler le langage de la conception des protéines et lui permettre d’imaginer de nouvelles structures. Nous pensons que l’analyse du son et de la musique peut nous aider à mieux comprendre le monde matériel. L’expression artistique n’est, après tout, qu’un modèle du monde en nous et autour de nous.

Dans l’évolution des protéines au cours des milliers d’années, la nature nous donne également de nouvelles idées sur la façon dont les sons peuvent être combinés et fusionnés.

Et même :

La «musique protéique» découverte par les chercheurs pourrait également aider à créer de nouvelles techniques de composition dans la musique classique en éclairant les rythmes et les tons des protéines, une méthode que Buehler qualifie de matériomusique.

Sources :

  1. Sonification
  2. Making New Proteins From Music
  3. Un chercheur traduit le coronavirus en mélodie
  4. Composing new proteins with artificial intelligence
  5. Scientists have turned the structure of the coronavirus into music
  6. Q&A: Markus Buehler on setting coronavirus and AI-inspired proteins to music
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