Stéphane Edouard : séduction homme-femme – sociologie contemporaine

 

Je me suis intéressé au phénomène “séduction homme-femme” pénétrant les moindres recoins de la société depuis la nuit des temps. Une thématique très intéressante, mais en même temps très complexe, lorsqu’on y met le nez en profane.
J’ai posé une série de questions à mon ami – Stéphane Edouard – spécialisé dans les aspects sociologiques de la séduction de nos jours. Notre discussion épistolaire fut assez intéressante…
Stephane-Edouard-seduction-homme-femme-sociologie-contemporainePeux-tu te présenter ?

Je m’appelle Stéphane Edouard, je suis titulaire d’un DEA de sociologie des groupes obtenu à l’Institut d’Etudes politiques de Paris, auteur de l’Homme Idéal (Ed. Flammarion), et conférencier. Mon principal sujet d’étude : la séduction & les relations de couple.

Qu’est-ce qu’un sociologue ? Tout le monde connaît le mot mais, finalement, rares sont ceux qui peuvent vraiment l’expliquer…

Un sociologue est plusieurs choses à la fois : historien, économiste, disons qu’il cherche à expliquer le pourquoi des actions (individuelles ou bien de groupes) sans tomber dans le piège de l’explication tout-psychologique, c’est-à-dire par l’enfance et le caractère.

Par exemple, si un enfant pleure tout le temps, le psy va t’expliquer que c’est son caractère, la façon dont il est élevé, tandis que le sociologue va chercher s’il n’a pas une dent qui pousse. C’est le premier exemple qui me soit venu à l’esprit. Il est un peu bizarre, mais tout à fait pertinent sur le fond !

Qui vient assister à tes conférences ?

La clientèle qui assiste à mes conférences n’est pas un bloc monolithique, mais elle a pour dénominateur commun une vision totalement erronée des attentes féminines. La plupart jouent le genre de type qu’ils imaginent plaire aux femmes (une sorte de force mystérieuse, taciturne et quasi mystique), mais par un dérapage incontrôlé ils héritent plutôt de qualificatifs comme prévisibles, timides et terriblement factuels.

Sinon, pour faire un peu de sociologie quantitative (même si je n’aime pas trop ça) :

  • clientèle masculine dans son écrasante majorité (les femmes n’aiment pas la réalité crue sur les relations, il leur faut leur dose d’optimisme, et croire que rien n’est jamais figé)
  • 15-50 ans, avec un pic Gaussien entre 20 et 30
  • une proportion étonnement importante issue de villes de taille petite à moyenne (d’où une difficulté de socialisation car faible surface de contact avec le monde)
  • catégories socio-professionnelles diverses. On dira que c’est le critère le moins discriminant, tous les niveaux de revenus peuvent souffrir d’une vision erronée des rapports de séduction et de couple.
Justement, la vision des riches et des pauvres diffère-t-elle ?

Pas vraiment, le riche ayant rarement l’impression d’être vraiment riche, car (chacun étant la moyenne de ses amis) il connaît des gens à niveau de vie encore supérieur qui l’aident à relativiser. Le pauvre et le riche peuvent, donc tout à fait, voir les femmes de la même façon, c’est en inversant la perspective (le point de view) que ça « segmente » – la vision des femmes sur les hommes étant grandement influencées par, disons pudiquement, leur capacité à “fournir de la ressource”.

Pourquoi les hommes sont-ils prêts à acheter tes séminaires ou tes ateliers ?

Stephane-Edouard-seduction-homme-femme-sociologie-contemporaineLa vérité, c’est que personne (ou presque) ne se lève le matin en se disant “je vais me faire relooker” ou “je vais apprendre à séduire”. La démarche commence toujours par un questionnement, et ce qui initie ce questionnement – c’est toujours un échec. Car on s’interroge toujours sur “ce qui bloque”, jamais sur ce qui va de soi : on pose avant tout des mots et des concepts sur ce qui est déficient sur le plan pratique.

Autrement dit, ce n’est jamais une problématique diffuse, toujours un problème concret. Problème qui peut s’incarner dans ce que nous appelons une obsession amoureuse, c’est à dire une incapacité à engager toute nouvelle relation, au titre des souffrances subies lors de la dernière. Il peut aussi s’agir d’une sensation de transparence, dont la manifestation concrète est l’absence totale d’opportunités de rencontre, quand son cercle social direct, lui, en vit. Ou bien d’un comportement de refus particulièrement vexant, de la part d’une femme totalement ignorante du pouvoir qu’elle avait sur celui qui, depuis longtemps, la désirait en silence. Il faut souffrir beaucoup pour engager une démarche de changement. On sous-estime – à tort – cet aspect-là des choses.

Qu’en est-il de leur niveau dans la réalité : sont-ils vraiment nuls et impuissants face au sexe opposé, ont-ils vraiment besoin de cette aide extérieure ?

Bien souvent, la réalité du terrain surprend même l’observateur le plus avisé. Les peurs du client, le background d’émotions négatives qu’il stocke derrière sa tête depuis des années, il finit par les avoir à longueur de temps devant ses yeux, et bientôt c’est toute cette imagination négative qui prend le pas sur le réel.

Concrètement, cela se traduit même parfois par des hommes accomplis professionnellement, sportifs et relativement cultivés, qui tentent (maladroitement) de séduire des filles qui leur sont inférieures sur tous les plans, échouent, et cet échec vient nourrir la crainte d’un nouvel échec. Crainte qui devient une peur. Puis une phobie. La phobie sociale.

Les femmes n’ont strictement aucune idée de l’appréhension que génère le fait de briser la glace avec elles, raison pour laquelle elles se permettent parfois d’être aussi froides. Elles n’en prennent conscience que les rares fois où elles tentent de le faire elles-mêmes et, faute de pratique, elles s’y prennent très mal. Mais le déséquilibre démographique aidant, les hommes, malheureusement, ont tendance à sauter sur la première proposition qui passe.

Quelles thématiques, à part la séduction, tu abordes dans tes séminaires ?

Mon tout premier séminaire, en 2006, avait pour objet “la femme” en deux heures. Une ambition telle que c’était parfaitement irréalisable, mais depuis nous avons bien circonscrit les problématiques. Désormais nos séminaires abordent, chaque mois, tous les aspects qui participent d’une vie “d’honnête homme”, c’est à dire équilibrée et surtout dénuée des frustrations de ceux qui subissent les choix des autres sans oser émettre les leurs.

Exemples : être sexué, langage des femmes, relations longues. Mais aussi : intelligence sociale, changez de vie, faites-vous respecter. Et même : ce que vos parents auraient dû vous apprendre, séduire/convaincre à l’écrit, etc.

Est-ce que le “malaise” d’une séduction maladroite provient de l’éducation, des croyances personnelles, de l’entourage social, des réflexions qui y sont liés ?

Stephane-Edouard-seduction-homme-femme-sociologie-contemporaineQue l’éducation conditionne la façon dont on voit le monde, c’est évident. Mais c’est une paire de lunettes insuffisante, et pour s’en convaincre il suffit de regarder autour de soi : on connaît tous des enfants issus de mêmes parents et de caractères opposés. Je pense plus réaliste le raisonnement consistant à dire qu’on développe d’abord, surtout et, oserais-je le dire, – uniquement – les qualités dont on a besoin. Et qu’un jeune adulte de 20, 25 ou 30 ans, qui n’a aucune idée de la manière d’aborder une fille, est avant tout quelqu’un qui n’a jamais eu besoin d’apprendre. La question intéressante étant dès lors : pourquoi ?

Plusieurs raisons possibles, à commencer par les dérivatifs à la sexualité : à l’âge où certains (la norme) sont chatouillés d’hormones les poussant entrer le plus vite possible en contact intime avec un corps du genre opposé sous peine d’imploser douloureusement, d’autres n’en voient pas l’absolue nécessité, et c’est là que toute la différence se fait : dans le besoin (ou l’absence de besoin). Ces dérivatifs – j’y reviens – peuvent être :

  • le jeu (et notamment les jeux vidéo)
  • les mondes parallèles (science, logique, jeux de cartes)
  • la lecture excessive (lecture non dans le but d’apprendre ou d’apprécier, mais de s’isoler du monde extérieur dans le refuge étanche du livre)
  • etc.
Pourquoi séduire est important dans notre société ?

Je te laisse me dire si elle était/est aussi importante dans l’ex bloc Soviétique et restreindrai ma réponse à mon pays. Comme souvent en France, la réponse est à la fois sociale et politique. Il ne t’aura pas échappé que nous sommes passé d’une monarchie, de droit plus ou moins Divin, à une souveraineté populaire : nos monarques, comme par exemple celui-en place (auquel j’ai consacré un dossier : François Hollande – mou, indécis mais homme à femmes) se doivent, pour être élus, tels :

  • de gagner nos faveurs (séduction),
  • puis faire bonne figure à leur place en tentant de justifier la confiance que nous leurs avons portée (relation longue)
  • puis, le mandat terminé (CDD), de dégager dans l’anonymat (Jacques Chirac), les huées (Nicolas Sarkozy) ou les crachats (Valérie G. D’Estaing).

Le triptyque séduction -> relation -> rejet, est donc historiquement inscrit dans notre ADN depuis 2 siècles et, à l’échelle individuelle, dans les relations hommes-femmes – depuis le virage de la libération sexuelle des années 70. Les corps étant désormais faits pour se donner du plaisir et plus, comme deux frêles petits arbrisseaux, pour se consolider en un tronc unique (le fameux tronc commun) et, ainsi, former une entité couple apte à survivre aux difficultés économiques ou de santé.

Pour faire simple, la libération (échange des corps) a entraîné la libéralisation (échange des individus), entraînant à son tour la banalisation de la séparation-reconquête. La nécessité de séduire est hautement consubstantielle au risque de se retrouver tout seul. Car quand, comme pour notre monarque qui tenait son pouvoir de Dieu, tu es assuré du gîte, du couvert, et du ventre reproducteur de la crémière, tu ne te demandes pas vraiment comment faire pour lui plaire. Quand tu peux te retrouver à la porte, par contre, oui.

Et pourquoi, à la fois, est-ce un véritable fléau sociétal ?

Ce n’est pas un fléau pour tout le monde, à commencer par les industriels de l’habillement, qui sans l’idéologie de la séduction ne feraient pas de tels profits. 25 milliards par an de chiffon, principalement consommés par des femmes pour être belles aux yeux des hommes. Tu sais combien coûte un tube de rouge à lèvres chez Séphora ? 12€ ! Le prix de trois livres de poche ! Et c’est du pur disposable, du jetable, à renouveler tout le temps…

La vulgarité de la séduction n’est pas dans l’art de séduire à proprement parler, mais dans la consommation de tout un tas de produits stupides supposés faire de chaque être vivant (femmes principalement) un séducteur passif en puissance. Au détriment du développement des autres qualités qui, seules, assurent la conversion de l’attraction-séduction en un sentiment plus durable de séduction-admiration : je peux, certes, être très attiré par une femme qui maîtrise tous les codes mercantiles de la féminité (rouge à lèvres, vernis à ongles, bas, body Princesse Tam-Tam), mais cela ne durera pas longtemps si je ne découvre pas chez elle des qualités susceptibles d’attiser mon admiration durable.

Comme disait Gainsbourg, on choisit les femmes pour ce qu’elles ne sont pas, et on les quitte pour ce qu’elles sont.

La séduction peut donc être un fléau chez les gens que l’on qualifiera gentiment de sots, car elle les leurre doublement -1 – en les confinant au rôle de consommateurs de gadgets et de marchandise – 2 – en leur laissant croire que ces produits vont leur apporter (sans autre effort de leur part que l’intention de les acheter) la solution à leurs problèmes.

La découverte de l’existence de « techniques de séduction » a-t-elle influé sur le comportement des femmes ? Et si oui, comment ?

Je me méfie de ce mot de “technique”, insupportable à l’oreille de beaucoup de femmes qui y voient une infâme manipulation là où il s’agit d’une pure question sémantique.

La “technique” n’est qu’une conceptualisation, une façon de mettre des mots, sur des attitudes qui existent depuis 10 siècles, et qui a probablement culminé à l’époque des courtisanes qui ne devaient leur survie à la cour (et leur survie tout court) qu’à leurs toilettes, leurs manigances et leurs enfants cachés. La femme est plus à l’aise dans l’exécution « instinctive » que dans l’analyse et le concept, dont elle laisse la primeur à l’homme. Qui a mis un certain temps à s’y attaquer, d’ailleurs, pour les raisons sociales et historiques que nous avons évoquées plus haut.

Les techniques féminines diffèrent-elles de celles des hommes ?

Stephane-Edouard-seduction-homme-femme-sociologie-contemporaineJe ne me souviens plus si nous l’avons déjà dit, mais clairement oui. Comme disait un sociologue, il n’y aucune égalité de fait : dans le monde occidental d’aujourd’hui, pour la femme, si elle est un peu apprêtée, séduire ne demande aucun fonds, juste attendre et disposer. Ma mère, qui était une belle femme, était seule depuis la séparation avec mon père, et je me souviens des innombrables fois où un homme la complimentait et tentait de la circonvenir. Elle n’y prêtait même plus attention, c’était moi qui étais le plus fasciné.

Les femmes occidentales, surtout dans les grandes villes, côtoient un vivier d’hommes (trop) disponibles à tout moment, et ce choix les dispense de se confronter à la difficulté de séduire un inconnu ex nihilo. Sauf quand, justement, il n’est pas inconnu, et qu’il peut leur rapporter beaucoup (sportif, rock star, politique).

Tu cites souvent les magazines féminins, pourquoi ?

Parce qu’il suffit de regarder la presse féminine en étant un peu de bonne foi pour y voir toute l’hypocrisie des femmes sur le sujet. Depuis 10 ans, les sociologues, coaches, etc. qui ont voulu s’intéresser au sujet de la séduction un peu sérieusement ont subi, de la part de toutes les instances féminines, le mépris, les attaques, voire l’anathème. Comme si c’était la chasse gardée des Dieux (des Déesses, plutôt), nous sommes interdits d’entrer sur ce terrain dont, pourtant, leur presse regorge !

Je te mets au défi de trouver un exemplaire de presse féminine aujourd’hui en kiosque qui ne contienne pas un dossier séduction, relations de couples, ou un ensemble de techniques visant à décrypter le langage des hommes pour en obtenir quelque chose. Et moi, quand je crée un séminaire qui s’appelle « langage des femmes », à l’ancienne, c’est à dire avec une forme de pédagogie à la fois élégante mais sérieuse et appliquée – on me rabaisse au stade d’immonde dragueur ? N’étant ni dragueur ni immonde, c’est bien la preuve d’un verrouillage communautaire sur ces sujets-là. Car la petite pigiste anonyme, qui rédige un dossier comment séduire un homme en 10 étapes pour Marie Claire, Sensuelle ou Femme Magazine, qui oserait la traiter d’allumeuse amorale ? Personne.

Nous sommes entièrement d’accord !

Cette double peine, ou un sociologue sérieux qui pond un livre de qualité, rempli de citations littéraires et de références cinématographiques, est immédiatement rabaissé par les femmes au stade de dragueur de supermarché, tandis que la quasi-totalité de la presse féminine fonctionne sur les ressorts du sexe et de la séduction. Depuis le temps ça me donnait le vertige. Mais ce qui est encore plus stupéfiant, c’est l’absence de toute solidarité masculine.

Qu’entends-tu par-là ?

Regarde les lieux de divertissement : la femme se fait séduire en groupe, l’homme séduit seul. Et à l’échelle symbolique, c’est à dire quand on passe du monde à sa représentation, ce schisme subsiste. La femme défendra tribalement ses « sœurs » contre toute menace perçue comme clivante, utilisera becs et ongles (insultes, mensonges) contre « l’agresseur symbolique », fût-il honnête et intéressé uniquement par le triomphe de la vérité.

Et, de l’autre côté de la barrière des sexes, l’homme, lui, ne bénéficie d’aucune protection tribale, d’aucune communauté de défense, car nul homme n’est prêt à perdre ne serait-ce qu’une seule opportunité de conquête féminine pour défendre l’honneur d’un des siens. C’est ce que j’appelle l’absence de solidarité masculine, maintes fois vérifiée quand je me faisais taper dessus par des journalistes féministes acariâtres (pléonasme), et où aucun des hommes qui ne m’avaient soutenu en privé n’osait le faire en public.

Avoir un métier public, c’est prendre acte du rapport de force des communautés entre elles, et le respecter. Et prétendre qu’elles n’existent pas, bien entendu.

Un mot de la fin ?

La vérité sociologiquement incorrecte, c’est que ce sont les hommes qui sont responsables de la difficulté à séduire les femmes aujourd’hui. Car dès lors qu’une jeune fille découvre la facilité avec laquelle elle peut avoir une aventure avec n’importe quel garçon sur lequel elle a jeté son dévolu, elle n’a plus aucune raison de ne pas se croire cette princesse, qu’elle veut incarner depuis toute petite, sans savoir en quoi ça consiste exactement.

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