Le perfectionnisme – le fléau psy ou l’utilité ?
L’extrait d’un bilan de personnalité (passé entre mes mains récemment), dont la lecture s’est avérée extrêmement intéressante du point de vue sociétal (avec un esprit philosophique) :
Pendant votre enfance vous avez pu avoir le sentiment qu’il vous fallait être parfait pour que l’on vous aime. Cette impression pouvait avoir plusieurs sources :
- une certaine exigence de la part de votre entourage (parents, enseignants, amis…)
- un certain manque de reconnaissance de leur part, de l’insuffisance d’expression de leur satisfaction à votre égard.
Cela vous a conduit à l’impression que vous n’étiez pas encore assez bien, et que vous deviez toujours vous améliorer, progresser.
A partir de là découlent certaines de vos valeurs :
- l’évolution et ses dérives (l’apprentissage, le développement…)
- la qualité et la perfection qui, seules, permettent l’appréciation véritable
- une étique supérieure, une certaine morale, de la rigueur.
Ainsi, vous faites preuve d’idéalisme, d’ambition, de loyauté, d’intégrité. Vous êtes fidèle à vos engagements, respectueux des règles et des codes.
En lisant ces lignes et le reste du bilan détaillant le préambule susmentionné, une pensée a commencé à m’obséder : ce sont justement les valeurs qui manquent tant à notre société… N’est-ce pas ? L’apprentissage, le développement, la qualité, la perfection, l’éthique, la morale, la rigueur, la loyauté, l’intégrité.
Bien sûr, chacun perçoit et tracte ces mots à sa manière et à son degré. Mais il me semble que si on devait décrire grossièrement notre société avec des valeurs, à l’instar d’un bilan de personnalité, ces valeurs seraient plutôt des antonymes directs du perfectionnisme.
Par conséquent, une question forcément s’est installée dans mon esprit :
ce fait, viendrait-il d’une mauvaise éducation ou est-ce que l’éducation consiste aujourd’hui à stimuler une énorme estime de soi chez chaque enfant (quels que soient ses résultats et sa conduite) ?
En effet, si un enfant durant toute son enfance est constamment gratifié (peut-être par peur des parents de blesser l’amour propre de leur progéniture, ou peut-être par l’ignorance totale de ces derniers des moindres principes d’une éducation cohérente) et si ses parents ne le « tirent pas vers le haut » – il est difficile d’imaginer la formation d’un perfectionniste tendant à avoir les valeurs énumérées dans ledit bilan de personnalité.
Ou est-ce que le perfectionnisme modéré (positif) doit avoir son origine justement dans la qualité de l’éducation, en dehors de l’aspect purement psychologique (c’est-à-dire en dehors des gratifications, de la reconnaissance, de l’encouragement, etc.) ?
Et est-ce qu’une exigence élevée mélangée à une reconnaissance tiède forment automatiquement un perfectionniste?
Et est-ce que le perfectionnisme est obligatoirement un fléau psychologique?
Perfectionnisme américain
Récemment, à la suite d’une conférence, un français ayant fait ses études et vécu 8 ans aux USA m’a raconté que dans les écoles américaines lorsqu’on rend la copie corrigée – l’encre rouge est utilisé pour indiquer non pas les erreurs, mais ce qui est correct. En revanche les fautes sont corrigées avec un stylo noir ou bleu.
Globalement dans le système d’éducation américain l’accent partout et toujours est fait sur la réussite, même si elle est insignifiante, contrairement à l’attitude française.
A la maternelle, lorsqu’un enfant accroche lui-même son manteau – la maîtresse lui dira « bravo John », et par le mimétisme les autres enfants feront la même chose afin d’être félicité également par la maîtresse. A l’inverse de la France ou le petit Jean-Claude se fera engueuler par la maîtresse pour ne pas avoir accroché son manteau (comme d’habitude !), et les autres dans la panique et par peur de se faire engueuler aussi vont essayer d’accrocher les leurs.
Est-ce que cette différence fait d’Amérique la terre bénie du perfectionnisme et d’intelligence supérieure ? Les avis divergent. Toutefois, tout le monde s’accorde à dire que le système américain est davantage orienté vers la réussite et le positivisme (dès le plus petit âge).
Perfectionnisme slave
Pour passer une petite parallèle supplémentaire, comme à mon habitude, à l’URSS l’éducation fut très orientée vers les valeurs du régime. Néanmoins, à l’école primaire nous avions tout un système de gratifications pour les tâches et devoirs que nous avions à accomplir. Les punitions moralistes ne se faisaient attendre non plus, lorsqu’un élève échappait à la normalité communément admise.
Etre un bon élève, voire le premier de la classe, était considéré prestigieux et se stimulait par tous les moyens. Dans ma classe, par exemple, une sorte de compétition fut installée – qui lira plus de livres, qui aura plus de bonnes notes, qui interprètera mieux une poésie devant tout le monde, qui sera le plus inventif… Bien sûr, cette étincelle était stimulée par les professeurs.
Là aussi on ne dirait guère que la Russie soit particulièrement remplie de perfectionnistes. Nonobstant, l’éducation soviétique a toujours été considérée dans le monde, comme l’une des meilleures. La culture générale des soviétiques a toujours était largement supérieure à celles des occidentaux.
Aujourd’hui l’école russe est devenue beaucoup plus brouillonne. Les profs sous-payés se fichent totalement des résultats, et les élèves mal encadrés dérivent dans tous les sens.
Perfectionnisme français
En France nous avons tendance à résumer le modèle d’éducation au fameux « on peut mieux faire ». On pourrait presqu’en conclure qu’avec une telle approche le pays devraient être rempli des perfectionnistes tendant éternellement à aller au-delà. Toutefois, pardonnez-moi cette constatation évidente – on en est loin !
Le trait français de calculer les moyennes par élève, par classe, par école, par département, par région, la moyenne nationale … curieusement n’attribue pas une meilleure qualité à l’éducation en général et ne produit pas de perfectionnisme omniprésent. L’attitude impersonnelle des enseignants dans les universités inflige un désintéressement généralisé avant l’arrivée dans la vie professionnelle – où la création, la motivation et le travail bien fait n’est la priorité de personne.
La tendance “obtenir le diplôme et oublier la fac” se transforme en “percevoir le salaire et rentrer à la maison”. La qualité du travail et l’amélioration constante de soi et de son environnement ne sont pas présentes dans la chaîne de réflexion de monsieur et madame toutlemonde.
A cela se rajoute le fameux principe de ce pays « la gestion à l’américaine d’une mentalité CGT-iste taxée à la française », le système social (lire socialiste) oblige enfonçant la motivation du peuple imparfait à améliorer les choses.
To be or not to be ?
Voici les 3 modèles d’éducation différents. Lequel est meilleur que d’autres ? Aucun ne produit de perfectionnisme proprement dit. Le corollaire inextricable et à la fois évident – la “production” du perfectionnisme vient certainement des parents. De leur éducation et des valeurs qu’ils transmettent à leurs enfants (à ce sujet voir le 4ème modèle dans “Ils sont fous ces coréens ! Eric Surdej chez les forcenés de l’efficacité“). Les questions adjacentes faisant surface :
Est-ce que le perfectionnisme peut être inculqué sans blesser la psychologie enfantine, ainsi évitant le mal être du futur adulte ?
Est-ce qu’une telle éducation peut être mise en place, afin de (ne serait-ce que) réduire l’indifférence et l’abrutissement général, sans même parler d’une société en constante amélioration ?
Et puis est-ce que le perfectionnisme modéré (non-pathologique) serait LA solution à tous nos problèmes ?