De la crise au progrès: Changement → Problème → Solution
Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité. Mais ils ne voient la nécessité que dans la crise.
Jean Monnet, 1888-1979

Avez-vous déjà réfléchi à la signification du mot problème? Quelle approche de cette notion, ayant la même racine sémantique dans les 95% des langues européennes et slaves, devrait être retenu?
Définitions
La définition en français: un problème (du grec πρόβλημα) dans son acception la plus courante, est une situation dans laquelle un obstacle empêche de progresser, d’avancer ou de réaliser ce que l’on voulait faire. Un problème naît lorsqu’il y a une différence entre l’état des choses et celui souhaité, ou lorsqu’il y a anormalité, c’est le cas en industrie ou en physiologie.
La définition en russe est sensiblement plus développée et, on pourrait dire, plus précise et intéressante: dans un sens large un problème est une question théorique et pratique exigeant une analyse et une résolution. En sciences, c’est une situation contradictoire en termes de prises de position et d’interprétations, exigeant une théorie adéquate pour sa résolution. Dans la vie de tous les jours, un problème consiste plutôt à “je sais ce qu’il faut, mais je ne sais pas comment y parvenir”. Un problème est une question n’ayant pas de solution univoque, avec un degré d’incertitude. La présence d’incertitude distingue le problème d’une tâche. La condition sine qua non dans la résolution d’un problème est son adéquate perception.
La philosophie du problème
— Tenzin Gyatso (Dalaï-lama)
Il n’y a pas de problèmes en tant que tels. Il s’agit d’une dénomination de solutions désagréables, compliquées et peu ou pas confortables. L’Homme est paresseux de par sa nature et cherche à tout prix à éviter les désagréments. Or, les problèmes n’existent pas, il y a seulement l’attitude envers ces derniers.
En chinois, le mot crise est composé de deux idéogrammes: 危機 — wei (danger) et ji (opportunité) — comme si une situation difficile (dangereuse) offrait une opportunité et, pourquoi pas, la possibilité de rebondir. L’approche chinoise est assez philosophique, tout comme le Taoïsme – considéré comme une doctrine religieuse et philosophique à la fois.
Bien que la crise et le problème ne soient pas les synonymes, la crise pourrait être une des conséquences du problème.
Ainsi, on peut constater le côté positif du problème, il donne un signal d’alarme: “il est nécessaire et/ou urgent de faire quelque chose“. Contrairement à une opportunité qu’on peut naïvement rater, un problème exige une solution (décision, attention), autrement la situation peut s’aggraver et se transformer en crise.
Cependant, tout n’est pas aussi univoque. Car une solution (constituée de tâches) est possible, lorsque des paramètres qualitatifs et quantitatifs sont déterminés. Et un problème est une situation qui exige compréhension et analyse, mais n’ayant pas forcément de solutions toutes simples se trouvant à la surface. Corollaire: un problème peut avoir une variété de solutions, tout comme une solution peut être composée d’une variété de tâches. Or, sémantiquement, il ne faut pas confondre les tâches avec les problèmes.
Les faits

1. L’école française utilise le mot problème dans les maths, contrairement à l’école russe qui se sert du mot задача ayant pour équivalent en français tâche, objectif, mission.
2. Une des vertus du problème: on ne peut pas évaluer raisonnablement toute situation. Et l’esprit, étant brouillé par le problème, en quelque sorte, se trouve en état de panique. Pour l’évaluer, il faut adopter un autre point de vue (new point de view) afin de percevoir le problème différemment.
3. La notion du problème est fréquemment décrite avec un aspect négatif. Dans certaines sources on peut lire qu’un problème désigne un obstacle qui empêche d’atteindre un but, un objectif ou une finalité donnée. Il peut également se manifester comme un ressenti négatif ou une absence de volonté face à une action à entreprendre.
4. Souvent le mot problème est présent beaucoup moins dans le vocabulaire des gens énergiques et entreprenants. Dans leur considération, un problème est plutôt une tâche ou une suite de tâches (“il n’y a pas de problèmes, il n’y a que des solutions“). Or, il serait opportun de conclure qu’une tâche est perçue par le cerveau plus positivement qu’un problème. Ainsi, certains optimistes disent “Les tâches compliquées n’existent pas. Il existe les tâches accumulées”.
5. Dans les livres sur le développement personnel et tout genre de littérature motivationnelle, on peut rencontrer des allégories du genre: “Le problème est un cadeau enveloppé dans le papier abrasif”. C’est en effet une façon de voir les choses, même si cette grille de lecture devient accessible après la résolution dudit problème.
Et maintenant, voici une esquisse de la gestion contemporaine des problèmes. C’est quelque peu caricatural, mais très d’actualité dans le monde moderne. Ainsi, le leader est celui qui arrive à:
- Créer / inventer un problème
- Lui donner du poids et de l’importance, en trouvant et en gonflant les risques
- Y attirer l’attention de tout le monde
- Verrouiller au préalable l’exclusivité de sa résolution
- Monétiser le point 4 (dans tous les sens du terme et toutes taxes comprises)
- Et baser son siège fiscal là où toutes ces taxes ne sont pas de mise…
Cycle : Changement – Problème – Solution
Tout change constamment. Le cycle “changement – problème – solution” est permanent dans toute société / organisation. Partant d’axiome que les problèmes surgissent constamment, le changement est continu. Et vice versa. Une équation à double sens.
C’est le processus normal de toute transformation, pouvant être positive (amélioration / développement), si le problème est maîtrisé. Alors, il serait logique de conclure que le ralentissement d’apparition de problèmes témoigne, en proportion directe, du ralentissement du développement de la société / l’organisation. Or, la présence des problèmes est plutôt un bon signe et leur apparition continue est positive. Néanmoins, la façon et l’efficacité de leur résolution en est un autre débat.
L’Homme passe sa vie à la recherche du confort et de l’insouciance. Mais le confort et l’insouciance charpentent un état d’atonie et d’inertie, dans lequel toute chose étrangère (même insignifiante) est automatiquement considérée comme un problème, ou une atteinte à ces confort et insouciance. Seulement, l’inconfort amène inévitablement le changement; et donc le progrès (si le changement est positif). Voilà pourquoi la phrase “sortez de votre zone de confort!” est usée jusqu’à la corde.
Il est primordial de comprendre que le cycle “changement – problème – solution” fonctionne indépendamment de votre volonté. Chaque jour quelque chose change. Et voici le choix cornélien: on peut choisir ne pas suivre ce changement, mais il est impossible d’arrêter le changement lui-même. Alors, ici apparaît une contrariété: on devient un boulet pour ceux qui suivent le changement. En refusant de s’y adapter, petit à petit, on peut être rejeté, car on devient une gêne, voire une entrave pour la société qui, elle, de toute façon changera.
Ainsi va le monde. Sélection naturelle? Sociétale? Le système est mal fait? Ou au contraire bien fait? On ne peut pas répondre par un oui ou par un non. Rien n’est univoque.
Pour résumer, un “problème” est un indispensable indicateur de la vitesse à adopter pour éviter une crise possible, et du niveau des changements (stratégiques, tactiques, opérationnels) à mettre en exergue.
Schéma mental de modélisation des problèmes

Proposé par Augusto Carreira (un de mes lecteurs, doctorant), voici un enchaînement syllogistique — modélisant les niveaux (la gravité) du “problème” — basé sur l’incertitude.
Ce cadre simplifié peut servir de charpente intellectuelle (voire, dans certains cas, psychologique) pour la modélisation de problématiques et leurs résolutions dans toute activité. En particulier dans la pratique organisationnelle et stratégique en entreprise, quel que soit son domaine d’activité, ainsi que dans l’innovation.
1. | Lorsque vous n’êtes pas à l’aise dans une situation et vous ne pouvez pas la qualifier, et encore moins en prédire les conséquences – vous êtes face à la PERPLEXITÉ, où l’incertitude est au sommet. | ≈100% |
2. | Lorsque vous arrivez à qualifier et quantifier en entier la situation en cours, mais toujours incapable d’en décrire la suite, alors vous avez un PROBLÈME (dans le sens propre du terme) – avec un niveau d’incertitude abaissé. | ≈75% |
3. | Dans le cas où vous êtes en mesure de qualifier la situation à venir, en d’autres termes vous êtes capable de décrire qualitativement une partie de l’avenir, vous basant sur ne serait-ce qu’une grossière feuille de route – vous avez là un PROGRAMME. Considérons que le niveau d’incertitude est moyen. Ainsi, J.Kennedy s’est adressé au Congres en 1961 en appelant à envoyer l’homme sur la Lune et le faire revenir sur Terre avant la fin de la décennie. | ≈50% |
4. | Étant capable de spécifier concrètement une situation voulue, donc future, vous avez un PROJET (ne demandant qu’à être réalisé). Le niveau d’incertitude est minimal, mais pas inexistant. | ≈25% |
5. | Ayant une description complète des choses du moment et celles à venir (situation voulue) – il s’agit d’une PROCÉDURE avec un niveau d’incertitude se rapprochant de zéro. C’est une situation putative à l’automatisation. | ≈0% |
Il est primordial de comprendre qu’aucune méthodologie de résolution de tout genre de problèmes n’existe. Mais la capacité à qualifier clairement la situation présente et à définir la situation voulue est centrale dans ce schéma mental.
Ainsi, le problème peut (doit) être vu comme une manifestation positive, pouvant prévenir la détérioration de la situation présente. Le seul moyen d’éviter les problèmes consiste à ne pas les voir, ou ne pas les prendre en compte. Cette technique voue la personne à l’arrêt total du progrès et de l’évolution. Si cette personne est le décideur d’une organisation, cette dernière se trouve dans une mauvaise impasse qui, en fonction du degré de son avancement (ou plutôt du reculement) peut devenir irrécupérable…
I use an approach first used by my PhD supervisor which is based on uncertainty.
When you feel uneasy with a current situation (this includes perspectives about future undesirable possibilities) but you don’t have a description of the as-is situation and much less of a to-be situation, then you are facing a PERPLEXITY and uncertainty is at its highest.
When you have a full (qualitative and quantitative) description of the current situation but nothing yet about the to-be situation, then you have a PROBLEM and you have decreased your level of uncertainty.
When you are able to produce a qualitative statement of the to-be situation, which means you are able to describe qualitatively what the future will be, and you already have something that resembles a coarse roadmap to get there, then you have a PROGRAMME. (E.g. the speech of Prs. John Kennedy to the USA Congress in 1961 where he stated something like this – to land a man on the Moon and bring him back alive till the end of the decade). The level of uncertainty is, let’s say, medium.
When you can produce a specification of the to-be situation, you have a PROJECT. Now implement the project. The level of uncertainty is lower, but not the lowest.
When you have the full description of the as-is situation and the full description of the to-be situation, you have a PROCEDURE. Level zero of uncertainty. It is a putative candidate to automation.
I hope this may help you. This shifts the problematics of “the problem” to the solving of particular problems by providing a mental framework (a modelling approach to problem-solving) based on the equivalence problem-uncertainty. No problem-solving methodology is assumed, but describing the as-is and being able to state a desired or expected to-be, after all issues have been removed, is central to this mental scheme.
D’un mot “problème” découle une vision des choses à géométrie interculturelle variable. Comme le “Prendre un risque français” et le “take a chance” anglo-saxon les mots conditionneraient-ils la pensée ou l’inverse?
Très intéressante démonstration d’Anton.
Veuillez agréer mes félicitations les plus sincères (eh oui) car votre blog allie l’information à une sincère réflexion philosophique souvent absente des discours mais indispensable pour comprendre le monde. Vos opinions affirmées peuvent ne pas être parfois partagées par tous mais la modernité de votre discours est rafraichissante dans une France un tantinet sclérosée à mon goût.