Globalisation vs conservatisme: l’indépassable seuil d’enseignement interculturel

Nous sommes sur le seuil

Les politiques, les économistes, les médias, bref tous, nous parlent de la globalisation comme d’un fait. Mais en est-ce un ? Avec la e-communication et la téléphonie mobile le paradigme de la communication a, en effet, changé à jamais. On peut appeler depuis son portable ou envoyer n’importe quel fichier (texte, photo, vidéo) à tout instant à l’opposé du globe terrestre. Les transports sont devenus aussi « piece of cake ». On peut aller le temps d’un week-end à une distance qui, il y a à peine 150 ans, aurait été couverte en plusieurs jours. Le déplacement physique et celui des idées sont allés, dans tous les sens du terme, très loin aussi. Dans les esprits, toutes générations confondues, c’est devenu non seulement normal, mais souvent anodin. Ce qu’on ne dirait pas toujours des prix de ces déplacements…

Cependant la face cachée de ces déplacements libérés et effrénés, ainsi que de la communication instantanée et sans frontières, est le bon vieux chauvinisme, souvent indéracinable chez les représentants adultes de l’espèce. C’est un de ces rares phénomènes qui forment un trait commun entre les générations et les sexes de tous pays, en contrastant avec les différences culturelles.

Car précisément les différences culturelles rendent la globalisation très complexe et en même temps rajoute de l’huile dans le feu du chauvinisme omniprésent. En d’autres termes, la globalisation accentue les manifestations du chauvinisme partout dans le monde à travers le prisme des différences culturelles. Et çe malgré la tolérance, le politiquement correct et bien d’autres « règles du jeu » démocratique pour les esprits pas encore globalisés, mais vivant dans un monde déjà global.

Éduqués dans le vieux système de pré-globalisation avec la perception classique du monde à travers le prisme d’ethnocentrisme (une sorte de synonyme sociologique du chauvinisme), les dirigeants d’entreprises, comme tous les autres membres de notre société, le plus souvent ne saisissent pas l’impératif d’intégration de l’intelligence interculturelle dans leur stratégie et organisation. Beaucoup sont guidés uniquement par le profit, et souvent le leur, quel qu’en soit le coût pour l’entreprise et donc les employés.

Cependant, un autre aspect qui véhicule une aura d’entreprise moderne, sophistiquée et d’avant-garde, faisant souvent mouche dans les esprits managériaux, est l’innovation. Seulement celle-ci est nourrie par la diversité ! (les sceptiques, intéressez-vous aux centaines d’études sur le sujet, publiées dans les revues diverses et variées). Et la diversité est forcément interculturelle.

Mais ce qui est généralement encore moins compris est que la diversité est aussi interdisciplinaire : un commercial ne voit pas le monde du même œil que la production ; un RH à tendance ‘’responsabilité sociétale’’ n’est pas toujours compris par la direction ; le staff créatif du département marketing ne parle pas la même langue que les ingénieurs (voir cette vidéo). Le choc culturel entre le publique et le privé est également connu de tous…

L’interculturalité et l’interdisciplinarité sont les ingrédients indispensables à l’innovation, phénomène fragile et délicat. Or, pour qu’elle soit continue et productive, il ne suffit guère d’embaucher des étrangers des 4 coins du globe. Encore faut-il qu’ils puissent travailler ensemble dans des conditions professionnelles et interpersonnelles propices à l’innovation.

Or, l’interculturel dépasse largement le domaine international ! Cette discipline, ce savoir, cette compétence, cette compréhension est vitale pour une entreprise du 21e siècle, comme les maths sont nécessaires pour la finance. Mais l’ennui est que tous les jours je constate le contraire : l’ignorance totale du sujet et la réticence très forte d’y remédier. La question la plus fréquente en entreprise face à un consultant en intelligence interculturelle : « ça va nous rapporter quoi / combien ? »…

Il y a plus de 2 ans je me suis exprimé sur l’impératif du système d’enseignement en intégration de cours d’interculturel. Le coup de gueule qui va suivre est plus pointu : aujourd’hui, sans tarder, il est primordial d’enseigner en dernières années d’enseignement supérieur cette intelligence interculturelle et particulièrement son application dans la société contemporaine — globalisante, mais pas encore globalisée.

Je décortique

Les étudiants sortant des masters et entamant leur vie professionnelle aujourd’hui seront les responsables et les managers dans 5-10 ans. C’est eux qui prendront les décisions économiques et politiques (!) de demain. Si on ne les vaccine pas avec la compréhension culturelle aujourd’hui, et non pas dans un avenir hypothétique proche, nous raterons l’internalisation et l’adaptation de la nouvelle génération au nouveau modèle économique et sociétal.

Car vacciner les adultes avec la compréhension interculturelle est plus compliqué, pour ne pas dire trop tard. C’est une compétence qui demande beaucoup de réflexion et de travail sur soi avant tout. Le travail et la réflexion doivent être faits dans la jeunesse et non pas après 40 ans, lorsque la perception du monde et la typologie comportementale sont déjà établis ; lorsqu’on a déjà 15-20 ans de gestion du facteur humain avec une approche complètement différente ; lorsqu’on a plusieurs projets aux enjeux importants en cours, des enfants à élever et des crédits à payer.

Mon expérience montre, notamment lors des formations continues et d’enseignement que je dispense, à quel point les esprits adultes sont moins souples, comparés aux jeunes. Même les étudiants de 20-25 ans sont déjà emplis de certitudes et d’idées reçues, ce qui peut en partie s’expliquer par les vestiges du maximalisme adolescent et par le manque d’expérience de la vie. Néanmoins, leur réceptivité est plus souple qu’en formation continue, où les participants (en sus d’être parfois forcés d’y participer) sont constamment dérangés par les appels et emails concernant les dossiers en cours. Il n’est pas compliqué d’imaginer le résultat d’une telle implication pendant 1-2 jours (maximum !) sans examen à la clef.

On ne résout pas les problèmes avec les modes de pensée qui les ont engendrés. — Einstein
Dans une société / économie de plus en plus complexe, semer le savoir d’interaction interculturelle dans les esprits des jeunes diplômés est le seul moyen de commencer à bouger les lignes du système existant. Car ce dernier ne peut plus perdurer, sous peine de continuer à reproduire les mêmes cadres, tous métiers confondus, avec le même niveau de réflexion et les mêmes schémas de fonctionnement.

L’autre danger

Lorsque des étudiants me racontent leurs cours de ‘’management interculturel‘’, pour ceux qui l’ont eu, je crois rêver : des narratifs théoriques à perte de vue, sans leur faire comprendre comment appliquer ce charabia anthropologique. Et ce, en dernière année de leurs études (n’ayant rien à voir avec la sociologie ou l’anthropologie), juste avant qu’ils entament leur vie professionnelle.

Dans le nouveau paradigme d’enseignement, l’école doit intéresser et non pas obliger d’apprendre à l’ancienne ce qui n’intéresse personne ! Idriss Aberkane compare l’éducation actuelle au gavage des oies — un gros volume de connaissances prédéfinies, dont elle doit gaver les élèves indépendamment de leurs attentes et aspirations.

Or, il faut intéresser les nouvelles générations, dès leur plus jeune âge, au savoir en tant que tel. Vacciner à la connaissance à travers la réflexion, le processus basé sur le mentorat et non pas sur les cours théoriques monotones, consistant à recopier et apprendre par coeur.

Mais aujourd’hui il y a urgence : faire sortir dans le monde adulte des jeunes vaccinés à l’éthique interculturelle, le savoir sociologique utilisé à l’infini dans tous les aspects de la vie sociale et professionnelle, en particulier dans le monde global. Il est naïf de croire qu’en pratiquant ils vont acquérir naturellement le savoir interculturel, car sans sensibilisation en amont et conscientisation de ce phénomène ils vont répéter les mêmes schémas que leurs parents, et ils ne vont s’en rendre compte que trop tard pour pouvoir bouger les lignes.

Appelons un chat un chat

Mes courriers aux écoles, avec les propositions de réflexion commune (à titre gratuit) sur leur programmes des Masters intégrant l’intelligence interculturelle, restent systématiquement lettres mortes. Je suis, bien sûr, conscient que le lobbying interne et les copains à faire travailler d’abord est une priorité absolue de toute organisation humaine qui se respecte. Mais nombreuses sont les écoles qui ne prêtent tout simplement pas attention à la matière interculturelle ou enseignent n’importe quoi sous l’étiquette d’interculturalité.

Je n’arrive pas à comprendre pourquoi les Établissements d’Enseignement supérieur, se proclamant internationaux, ayant des campus aux 4 continents, attirant des étudiants internationaux dans chaque promo, n’ont toujours pas intégré le fait que l’interculturel ne se résume pas au copier-coller des postulats théoriques et généralistes de Hofstede ou Trompenaars. Cette approche ne peut (ne doit) pas constituer l’essentiel des faméliques 10-15 heures de cours dénommés le « management interculturel ». Car il n’en est rien !

Le management interculturel n’est qu’un chapitre de l’éthique interculturelle. Cette dernière, comme son nom l’indique, passe par la compréhension des mécanismes interculturels et non pas par la liste des choses à faire ou ne pas faire dans un pays (culture) donné, devant être apprise par cœur pour passer les examens. Cette compréhension auprès des jeunes sans expérience doit émaner de la transmission des réalités du monde professionnel, et non pas de la théorie mise en conserve dans les livres complexes des années 60-80 du siècle dernier. Il en va de soi qu’un tel enseignement doit se faire par des praticiens, et non pas par des théoriciens universitaires n’ayant forcément pas une vision réaliste du monde corporate.

Qu’il n’en déplaise à certains, l’intelligence culturelle touche à tous les aspects d’entreprise à travers les rapports sociologiques : communication, relations humaines (interpersonnelles), négociation, marketing, (RH) management, gestion de projet, planification, etc. Cela, bien sûr, s’applique à toutes les autres sphères de la société : politique, services publics et particulièrement l’Éducation. Et par ce fait, elle constitue un savoir vital (sans exagération aucune) pour les nouvelles générations qui reprendront ce monde globalisant et le composeront demain.

L’Enseignement Supérieur

Nonobstant, les Grandes Écoles, se ventant d’être ultra internationales et monnayant leurs diplômes plusieurs milliers d’euros, n’ont toujours pas intégré la haute importance de l’enjeu, dont elles prennent la responsabilité. Car ce sont elles qui produisent annuellement de futurs chefs d’entreprises et des managers ne comprenant pas grand-chose, voire rien, à la globalisation et à la gestion de l’Humain en ce siècle d’informations et de communication instantanée, virale et sans frontière.

Ici, sans frontière il faut comprendre forcément interculturelle, et non pas entre les pays. Car l’interculturel est aujourd’hui partout, même dans le cadre du même pays, du même bureau, d’une même équipe, qu’elle soit dans un bureau ou virtuelle. L’interculturel ce sont les relations complexes entre les cultures, les générations, les sexes opposés (et non seulement), les religions et les corps de métiers différents qui ne se comprennent souvent pas et se sentent opposés.

indepassable-seuil-enseignement-interculturel-globalisation-vs-conservatisme

© Manu Cornet, http://ma.nu/

L’éthique interculturelle est avant tout la compréhension de soi à travers les yeux d’une autre culture, quelle qu’elle soit (pays, sexe, génération, métier, …). Car la culture c’est entre-autre l’appartenance, l’identification à un groupe d’individus auquel on croit ou choisit d’appartenir. Et, comme les animaux sociaux, nous percevons tout ‘’intrus’’ dans ce groupe comme hostile ou au moins anormal. Chez les humains cette forme ‘’d’agressivité comportementale’’ se manifeste ordinairement à travers le chauvinisme. Dans la discipline interculturelle nous employons plutôt le terme d’ethnocentrisme, tendance à privilégier ses propres normes et valeurs pour analyser les autres.

Le Philosophe Vincent Descombes écrit dans « Manière de voir » #152, avril – mai 2017 :

« L’identité collective est à chercher dans les moments où les membres d’une société disent ‘’qui ils sont’’. Ils ne le disent pas forcément dans une déclaration articulée, dans des phrases, mais dans leurs monuments –montrant ce qu’ils honorent-, dans leurs cérémonies et leurs liturgies –où ils mettent en scène l’idée qu’ils se font d’eux-mêmes-, dans leurs institutions pédagogiques –où ils décident de ce qu’ils veulent transmettre. ».

C’est peut-être ce qui explique pourquoi ces dernières, majoritairement, résistent à la transmission de l’intelligence culturelle aux nouvelles générations, continuant ainsi à proliférer indirectement l’ethnocentrisme et/ou le chauvinisme, dans leur propre identité culturelle ..?

Épilogue

Il est vital de commencer d’urgence à intégrer dans les programmes des Masters 1 et 2 les cours de stratégie et organisation interculturelles (orientés aux écoles de commerce) et de l’éthique interculturelle (convenable à tout genre d’établissements scolaires), afin de réduire la propagation d’obscurantisme ethnocentrique en entreprise, mais aussi dans toutes les autres sphères de la société. Notamment, cette formation aux politiciens de certains pays ferait incontestablement un bien fou ! Aujourd’hui, cette matière, dans le monde globalisant, n’est pas un mal pour un bien, mais la fondation même de la compréhension des mécanismes d’interaction intelligente et civilisée entre les 4 générations et les centaines de cultures, dorénavant enchevêtrées dans un réseau économico-sociétal de plus de 7 milliards d’individus, à l’échelle de plus de 200 pays.

business-divider

Programme-type (30 heures)

1. Introduction au monde interculturel

  • Globalisation
  • Intelligence économique et interculturelle
  • Paradoxes sociaux dans les affaires

2. Cultures et sociologie dans les affaires

  • Cultures : nationale et corporate
  • Qu’est-ce qu’une culture d’entreprise

3. Management et organisation

  • Management des conflits
  • Prise de décisions
  • Dynamiques de groupes
  • Équipes virtuelles
  • Marketing dans la diversité
  • Modélisation de l’international
  • Stratégie et organisation interculturelles

4. Business Cases

  • Stratégie • Organisation • Internationalisation • Adaptation produits • E-communication interculturelle

business-divider

Si vous avez trouvé une faute d’orthographe, faites le nous savoir en sélectionnant ce texte et en appuyant sur Ctrl+Entrée.

Subscribe
Notify of
guest

7 Commentaires
Oldest
Newest Most Voted
Inline Feedbacks
View all comments