Conflit en Ukraine : contexte historique (avec des pincettes)
Préface
Bien que le conflit ukrainien soit ralenti, l’incompréhension demeure. Beaucoup d’Européens (non seulement les Français) me questionnent sur les tenants et aboutissants de cette guerre civile et de ses origines. L’incompréhension quasi totale des Occidentaux “apolitiques” de ce qui se passe entre l’Ukraine et la Russie est criante.
L’actualité ukrainienne n’est pratiquement plus couverte par les médias occidentaux. Visiblement les priorités et les intérêts militaires de l’OTAN se sont déplacés à nouveau au Moyen Orient (définitivement ou temporairement ?). Ou peut-être que l’Europe a saisi la nuance — en dépit du lobbying directorial intense des “top-managers” washingtoniens — les sanctions sciaient la branche sur laquelle elle était assise.
Ou peut-être que les choses ont pris une autre tournure et en Europe a apparu le courant de « l’escalade des sanctions », lorsque Gazprom a réduit la livraison du gaz (transitant par l’Ukraine) vers l’Europe de 60%, en annonçant la construction du nouveau gazoduc par la Turquie. Les médias occidentaux n’ont pas fourni le même effort pour couvrir cet événement, contrairement à la soi-disant infirmité psychique et mentale de Poutine le poussant à défier l’Occident…
Je ne voulais pas écrire sur le sujet, sachant d’avance que compte tenu de mes origines mon analyse (ne pas confondre avec mon opinion) serait automatiquement / obligatoirement critiquée et controversée par les fidèles du politiquement correct (et Dieu sait qu’ils sont légion dans toute démocratie qui se respecte).
Je reprends donc ici un article récent britannique ayant démontré une approche pertinente et honnête. Et en particulier c’est un de ces rares articles occidentaux décrivant la réalité non arrangée au service d’une minorité cupide de la haute politique mondialisée.
En guise d’introduction, je suggère cette courte vidéo en la matière historique, qui vous permettra une meilleure lecture du conflit susmentionné.
Observation : entre les gens adultes et consentants nous nous entendons sur le fait qu’une vidéo de 3 minutes, naturellement, ne peut pas démontrer avec précision l’histoire complète d’un pays et, par conséquent, n’est qu’un sommaire très générique et incomplet — il est particulièrement important d’en être conscient.
Ukraine — un long chemin vers l’indépendance
Conflit Russie-Ukraine : contexte historique
Article de Matthew MacLachlan (Communicaid)
Ukraine: le passé et le présent
Ukraine n’a jamais eu d’identité propre sous l’Empire russe. Et c’est seulement sous les bolcheviks qu’une république soviétique d’Ukraine est apparue. La Crimée était russe jusqu’à ce qu’en 1954 Khrouchtchev (le président d’URSS d’origine ukrainienne) l’a offert à l’Ukraine sous prétexte de “faciliter l’administration”. L’Ukraine est devenue indépendante à la fin de 1991 au moment de la désintégration de l’Union Soviétique. Alors, quelles sont les principales questions derrière le conflit actuel ?
Langue
Pendant la période soviétique l’enseignement se faisait en russe. Des millions de Russes se sont installés en Ukraine pour combler les pertes de guerres du 20ème siècle, et il était presque impossible de trouver du travail sans la langue russe. Néanmoins, en 1991 l’ukrainien est adopté comme seule langue officielle et de nombreux russophones, qui ne parlaient pas ukrainien, tout à coup se sont trouvés dans l’incapacité de faire de la politique, de travailler dans l’éducation ou de garder des postes clefs dans les entreprises publiques.
© Images — Olivier Berruyer | Les-Crises.fr
Dans l’ouest de l’Ukraine — la région céréalière principale de l’URSS et traditionnellement nationaliste — ces réformes linguistiques ont été accueillies comme le renforcement de la nouvelle identité nationale en soulignant l’indépendance de la Russie. L’Ukraine orientale cependant, avec ses mines, l’industrie lourde et des complexes militaires était moins enchantée. L’indépendance ayant amené la crise économique des années 1990 et le chômage s’étant envolé de façon spectaculaire, les habitants de l’Est étaient touchés de manière disproportionnée et se sentaient persécutés pour cause de leur manque de compétences linguistiques.
L’éducation également a créé un gap — les enfants n’avaient pas de langue commune avec leurs grands-parents. Dans les années 2000 cette politique a été détendue et le russe adopté comme une langue semi-officielle dans certaines régions. Cependant, l’une des premières actions du gouvernement intérimaire en 2014 était d’abroger la loi 2012 d’octroi du statut au russe de «langue régionale» — la langue sensée unir le pays a mis en évidence sa division.
Argent
Dans l’ouest l’économie est agricole et l’est possède des ressources minérales et l’industrie. Les entreprises de l’Ukraine orientale ont besoin de marchés russes pour commercialiser leur production et à la fois s’appuyer sur les fournisseurs russes (marché bilatéral). L’Ukraine occidentale a un besoin urgent en réformes agricoles et est envieuse des subventions agricoles de l’UE reçues par ses voisins, comme la Pologne. L’UE est un marché naturel pour les produits « low-tech » de l’ouest de l’Ukraine, mais l’Ukraine est étranglée par les droits de douane actuels.
Avec l’annexion récente de la Crimée, certains commentateurs soutiennent que la Russie a dorénavant un itinéraire moins cher et plus direct pour ses gazoducs vers son marché clé – l’UE. Contourner l’Ukraine constituerait une économie des milliards de roubles et garantirait une sécurité renforcée. De plus, dans le temps la Russie soupçonnait Kiev de voler le gaz dans ses pipelines.
L’économie ukrainienne est dans un état désespéré et n’arrive pas à surpasser cette instabilité face à la Russie lui ayant offert des aides substantielles et en retour espérant une certaine assise diplomatique dans cette région.
Influence militaire
Kiev veut des liens plus étroits avec l’OTAN, et veut conserver une marine de classe mondiale. Depuis Pierre le Grand (1682-1725), la Russie a poursuivi la politique d’une grande puissance navale avec l’accès aux ports des eaux chaudes. À travers les bases criméennes, la Russie peut dominer la mer Noire et avoir un accès facile à la Méditerranée. Ayant le budget nécessaire la Russie peut maintenir une marine moderne, ce qui la fait aspirer à être une puissance mondiale, et la flotte de la mer Noire est la clé de ses ambitions militaires.
Il est également utile de rappeler que depuis que Napoléon a atteint Moscou en 1812, presque tous les conflits terrestres en Europe ont été menés sur le territoire russe. Le Japon, la Chine, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, et la France ont tous envahi la Russie (annotation : sans parler d’invasions suédoises depuis 1142, polono-lituanienne en 1609-1618 et bien d’autres avant le 19ème siècle). Pour réduire ce risque, la Russie a activement cherché à créer une zone-tampon, composée d’états dépendants, afin de protéger ses frontières et absorber les armées d’invasion.
Cela peut sembler comme une politique dépassée dans l’ère moderne de cyber-attaques et des missiles balistiques, mais il y a un élément important dans la psyché russe. La Russie s’appuie sur le principe, selon lequel elle ne doit compter que sur elle-même pour se défendre ; et même les voisins proches peuvent être des menaces potentielles.
La Russie mise en marge par l’Occident
Il y a une autre dimension dans la question militaire — la Russie se sent trahie par l’Occident. Malgré les objections de principe, la Russie n’est pas intervenue en Irak ou en Afghanistan : deux pays où elle maintient traditionnellement son influence. La Russie ne s’est pas non plus plainte lorsque les États-Unis ont installé une base militaire en Ouzbékistan – un vieil allié russe. Et pendant le conflit russo-géorgien en 2008 les États-Unis n’ont intenté aucune discussion avec Moscou avant de publiquement condamner la Russie sur le ton très accusatif.
Les objections de Moscou au sujet du Kosovo, de la Libye, de la Syrie et de l’Égypte ont été également ignorées. La Russie estime que les États-Unis l’ont exclu et mis de côté, délibérément cherchant à l’affaiblir. Elle n’a eu aucune marge de manœuvre et publiquement n’a essuyé que des critiques. En outre, la Russie maintient que, avant la réunification de l’Allemagne et le retrait des troupes russes de l’Allemagne de l’Est, l’Occident a promis qu’il n’y aurait pas de l’expansion de l’OTAN vers l’est… Le résultat 20 ans après est visible sur cette image et accessoirement celle-ci.
Ours blessé
Faisant plus attention aux perceptions qu’aux réalités, l’Occident se rapproche inexorablement de la guerre froide politico-diplomatique 2.0. Et la Russie a pris conscience que l’Occident n’a plus d’autres choix que d’observer et de balancer dans les médias des grenades sous forme d’extraits de discours sortis de leur contexte. Cette attitude écervelée et étourdie n’est pas bonne pour l’Occident et pour la Russie, et encore moins pour l’Ukraine. Mais il est de plus en plus évident qu’un ours blessé est un ours dangereux. Rejeter la Russie est une erreur que nous ne pouvons pas nous permettre.
En supplément de l’analyse factuelle de Matthew MacLachlan (Communicaid), une française vivant à Moscou a rajouté une touche pas moins intéressante dans les commentaires à son article. Voici leur échange :
Anne
Les Russes n’ont pas la même logique au sujet de l’argent, comparé à l’Europe occidentale ou aux États-Unis, au point que les sanctions économiques contre la Russie ne font que renforcer leur patriotisme en les faisant se sentir de plus en plus incompris et déloyalement traités par l’Occident.
Deux exemples:
- Tout le monde en Europe a été surpris que Poutine a interdit l’importation de produits frais en provenance de l’UE comme une réponse aux sanctions financières occidentales, ce qui entraîne une forte augmentation des prix locaux et déclenche une inflation de 20%. Bien que la Russie ne produise pas les fruits et légumes ou les fromages (annotation : en réalité la Russie produit les aliments cités, mais en quantités insuffisantes pour la demande intérieure), la majorité des Russes sont convaincus que « made in Russia » est bon pour leur pays sur le long terme et sont prêts à payer plus cher pour stimuler la production nationale qui n’existe et n’existera pas. (Annotation : la dernière affirmation me semble trop pessimiste, mais passons)
- Dire, que l’une des raisons de l’annexion de la Crimée par les Russes était la réduction les coûts de livraison du gaz à l’Europe, est également un grand malentendu des motifs russes et des valeurs dans ce conflit. En conséquence, les Européens ont été pris totalement par surprise lorsque Gazprom, le plus grand fournisseur de gaz naturel au monde (depuis 1954), a annoncé sa décision de couper sa livraison vers l’Europe via le réseau de l’ère soviétique – l’Ukraine – et de le remplacer par une nouvelle ligne sous la mer noire via Turquie. Cette décision est économiquement absurde pour la Russie, mais elle a une logique que l’on trouve dans l’histoire : les Russes ont préféré de brûler Moscou plutôt que de donner ses ressources à Napoléon, lorsqu’il s’est rapproché de la ville en 1812.
Je suis totalement d’accord avec la conclusion de cet article et la métaphore sur l’ours blessé. Je crains bien que le malentendu entre les Russes et l’Occident va continuer à croître jusqu’à ce qu’on brûle tous les ponts.
Matthew
Tout à fait d’accord. C’est un bel exemple du jugement des autres avec ses propres principes culturels.
La Russie a toujours été plus intéressée par la sécurité du territoire que la sécurité financière — la vente de l’Alaska est toujours utilisée en exemple que l’argent est une mauvaise motivation dans la politique internationale. La Russie est souvent considérée comme têtue et obstructionniste, mais uniquement par ceux qui ne se sont jamais intéressés aux prémisses culturelles.
Une énorme valeur russe est l’identité nationale et la fierté — le concept du national, plutôt que du personnel, est très répandue. Malgré les grands changements des 20 dernières années avec l’individualisme grandissant, cela n’empêche pas aux Russes de revenir au collectivisme connu comme un des fondements du communisme qu’ils ont vécu courant 70 ans.
Anne
Vous avez absolument raison sur l’identité et la fierté nationale, bien que je ne sois pas vraiment certaine que nous assistions à un retour au collectivisme. J’observe davantage une croissance du nationalisme en réaction aux critiques et sanctions contre la Russie, et les valeurs de l’individualisme et de l’hédonisme sont plus répandues, que pendant la période soviétique, en particulier chez les jeunes jusqu’à 30 ans.
Matthew
Je vois cela comme un collectivisme temporaire. Par ailleurs, un des grands défis auxquels font face les Russes à l’échelle nationale est la différence générationnelle de culture progressant.
Postface
Somme toute, les deux points de vue sont cohérents et ont tous deux raison. Bien que l’article ne retrace pas, comme la vidéo, la totalité de l’histoire et des prémisses du conflit ukrainien, ses remarques sont pertinentes, ce qu’en fait une analyse plutôt juste, comparé à la soupe au navet servie par la bureaucratie européenne et ses médias historiquement “démocratiques”, endormant ainsi l’inconscient collectif.
Dernière remarque très importante. L’histoire est une science indispensable pour comprendre les racines du fonctionnement du monde actuel et ne pas répéter les erreurs des ancêtres (en plus terre à terre — ne pas marcher deux fois sur le même râteau). Mais nul ne peut garantir l’authenticité absolue de cette histoire — ni les archives nationales, ni les services secrets et encore moins les manuels d’histoire de l’éducation nationale. Tous les peuples de tous les temps ont toujours instrumentalisé leur propre histoire, tout comme l’actualité, aux fins des gouvernements en place, des intérêts géopolitiques et par-dessus tout financiers. Rares sont les dirigeants agissant véritablement dans l’intérêt de la nation.
L’histoire est refaite sur papier dans l’intérêt du pouvoir existant ou à mettre en place. Or, peut-on les yeux fermés faire confiances à tous faits historiques qui expliquerait aujourd’hui la « nécessité » ou « l’inéluctabilité » d’un conflit quelconque dans telle ou telle lumière ? . . .