Dans la peau de Jérôme Kerviel

Jerome-Kerviel

© Photo Paris Match

Au milieu du printemps dernier je me suis retrouvé à table avec Jérôme Kerviel. Par pur hasard la seule table de deux restant libre, lorsque je suis arrivé avec mon ami au Fumoir, était collée à celle où était installé Jérôme Kerviel avec sa convive. Ce que j’ai réalisé un quart d’heure après, car étaient particulièrement discrets.

Avec mon ami nous continuions à bavarder de nos problèmes quotidiens sans porter attention à ce qui se disait à côté de nous et sans y lancer de regards intempestifs. Mais même si j’essayais d’écouter la conversation à moins d’un mètre de mes oreilles je n’y entendrais pratiquement rien. Ils parlaient très doucement, sans gesticulation, sans signes de tête, sans émotions. Ils bougeaient pratiquement pas.

Ils se comportaient presque comme deux espions ou, pour le moins, les personnes voulant à tout prix éviter la moindre attention à leur égard. Et connaissant l’affaire (portant son nom) avec toute sa médiatisation depuis janvier 2008, c’est à dire depuis puls de 5 ans au moment où je le voyais en face, les raisons de leur discrétion semblaient être plus qu’évidentes.

A ce moment là une réflexion a surgi dans ma tête. En y repensant de temps à autre, à chaque fois une sensation du poids énorme m’envahie de l’intérieur. L’inférence logique m’a amené à relativiser sur mes propres ennuis, si on peut les qualifier de tels en comparaison avec la situation que Jérôme Kerviel subissait déjà depuis une demi décennie.

 

Being Kerviel

Mettez-vous dans la peau de ce gars. Je n’entends pas débattre sur le degré de sa responsabilité dans l’affaire avec la Société Générale, ni à quel point le TGI de Paris, la Cour d’Appel et le Conseil des Prud’hommes de Paris ont été de connivence avec le système financier et son réseau d’hommes puissants, ou à quel point ils ne l’étaient pas.
Mais juste mettez-vous dans la peau du mec de 36 ans qui aujourd’hui se trouve dans le “couloir de la mort sociale” depuis voilà bientôt 6 ans.

De quoi vit-il aujourd’hui ? De son livre ? Des ASSEDICs ? Connaissant le dossier – ça serait étonnant étant condamné à payer 4.915.610.154 euros de dommages et intérêts à la Société Générale. De quoi parle-t-on ? Qui peut payer un tel montant n’ayant plus aucune source de revenu et ne pouvant même pas espérer de retravailler un jour ? Et même si, par miracle, il trouve du travail – quel devrait être son salaire ? FOUTAISE !
Comment et surtout dans quel but peut-on condamner quelqu’un à deux mille euros par mois payer de tels dommages et intérêts ? Un jugement ridicule et dépourvu de sens, même si on voulait en faire un exemple !

Son nom est connu dans le monde entier à l’instar de Madoff. Les médias de tous les pays ont parlé de lui depuis 5 ans comme d’un escroc, l’ancien PDG de Société Générale D.Bouton l’a même qualifié de “terroriste” à la radio…

Bien que le peuple, malgré son indifférence à l’affaire (tant que ça ne les touche pas directement) comprenne au fond que Kerviel n’est qu’un bouc émissaire de la Société Générale, ça ne change rien à sa situation et n’allège pas son sort.

Passez cette parallèle avec vos préoccupations quotidiennes et vos problèmes qui vous paraissent insurmontables, injustes et monstrueuses. Pensez-vous vraiment que vos soucis arrivent à la cheville de ce type, ne pouvant plus sortir dehors sans essuyer les regards de travers, obligé de se débattre quasi constamment des journalistes et de se battre contre tout un système ?
Le système pensé et fabriqué sur mesure justement pour être impénétrable, inattaquable, opaque et intouchable.

Ce mec, était assis en face de moi sans émotions, visage ferme et sérieux. Il n’est pas difficile d’imaginer qu’après 5 ans de turbulences judiciaires, 37 jours en prison, les accusations uniques dans l’histoire judiciaire mondiale et 3 ans de prison ferme (auxquels il est condamné depuis octobre 2010, malgré un appel et la saisie des prud’hommes) – les émotions doivent être quelque peu estompées et la joie de vivre ne doit plus vraiment faire partie du vocabulaire depuis le début de son affaire (ou peut-être plutôt de l’affaire Société Générale ?).

En public Jérôme reste particulièrement discret et inaperçu. Ce jour au Fumoir il y avait beaucoup de blancs dans leur conversation. Ça se sentait qu’ils essayaient de trouver une idée, une solution, mais ils tournaient en rond même si j’entendais pas le sujet de la conversation. Lorsqu’ils se sont levés pour partir, il se tenait la tête baissée pour ne pas croiser les regards des gens, que j’ai presque eu l’impression de voir une ombre et non pas un humain.

Alors, une fois que vous vous êtes imaginé dans sa peau, dans cette situation sans issue puisque vous y êtes coincé et cerné par toutes les autorités, votre nom est maintenant cité dans les dictionnaires, dans Wikipedia et donné en exemple dans les MBA et les écoles de finance, comme une tache noire dans l’histoire de la finance française – réalisez

  • l’ampleur de la difficulté psychologique et mentale à gérer au quotidien (depuis plusieurs années du matin au soir) une telle pression tout en restant en liberté,
  • tout en supportant la menace imminente de se faire amener en prison, sans oublier “le jugement rendu dédouanant intégralement la Société Générale de toute responsabilité, malgré le fait que des carences graves du système de contrôle interne ont été confirmées à Bercy par plusieurs hauts fonctionnaires de la direction du Trésor et par la commission bancaire».

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