meilleure demande de thèse

Meilleure demande de supervision de thèse (EVER!)

Cette année, deux de mes étudiantes m’ont sollicité pour superviser leur thèse de fin d’études. Rien d’extraordinaire jusque-là. A part le fait que dans le master de la gestion des projets, elles ont voulu traiter une thématique qui (comment dire…) sort “quelque peu” de leur champ d’études. Voilà leur première formulation de la problématique:

Nous voulons étudier l’existence d’un gap entre les classes sociales, qui impacterait l’accès à l’emploi, et plus particulièrement, les postes de cadres. Celui-ci pourrait-il provenir d’un manque d’accès à la culture?

Comme je le fais avec tous mes thésards potentiels, je leur ai demandé de me faire un micro-storytelling expliquant la raison de leur choix du sujet. Résultat: je me suis retrouvé face à un Oscar pour la meilleure “interprétation féminine en binôme” des motivations pour un sujet sociologique en Master 2 d’une école de commerce.

Leurs humour, second degré, formulations, approche générale et questionnements m’ont séduit tellement que j’ai instantanément voulu – avec leur autorisation – partager cet email (sans fautes de français) avec tous ceux qui lisent encore des articles de blogs…

Regain d’espoir pour la culture générale des jeunes?

Bonjour Anton,

Nous avons rédigé notre storytelling comme convenu. Comme nous avons l’art de raconter une histoire, nous avons bien exagéré pour toucher notre auditoire (en l’occurrence, vous). Le voici:

Comment l’accès à la culture peut être un “boost” ou un obstacle dans la course vers des postes de cadre?

C’est une question qui devait forcément réunir Salomé et Maylis! Pourquoi ? Parce que l’accès à la culture est au cœur de leur combat depuis toujours.

Maylis est issue d’un environnement urbain favorisant l’accès à diverses formes de culture, des musées aux théâtres en passant par les bibliothèques… ou encore des cinémas, des salles de concert… mais aussi des galeries d’art, des monuments… ou encore les tableaux douteux trouvés au marché aux Puces de Saint-Ouen… Malgré ce contexte, la culture était inaccessible pour elle. Pourquoi?!

Dévalorisée à l’école de part des résultats moyens, elle a développé des croyances limitantes: la culture c’était pour les intellos. La révélation de cette absurdité fût post-bac quand elle a réalisé qu’elle était assez intelligente pour accéder aux études supérieures, donc assez intelligente pour apprécier la culture.

Salomé, quant à elle, c’était tout l’inverse ! Élève plutôt brillante, elle a grandi dans une zone rurale aux ressources culturelles limitées. Elle s’est démenée pour trouver ne serait-ce qu’un petit bout de culture entre deux champs (de culture…), comme au rayon livre de Leclerc, aux tags sous les ponts de l’axe Caen-Rennes, en passant par l’ombre des feuilles sur le sol, ou encore la douce musique de la chaîne MTV dans son salon. Toujours attirée par le cinéma, le théâtre, la littérature et la musique (qu’elle ne connaissait pas vraiment finalement), elle a continué de tracer son chemin au fur et à mesure de ses études, en accédant à un nouveau champ (lourd) des possibles dans les grandes villes.

L’une comme l’autre, le rat des villes et le rat des champs, se sont battues pour atteindre leurs objectifs, défier les idées reçues et la géographie, gonflées toutes deux d’envies de croquer la culture à pleines dents.

Deux chemins opposés que le hasard a réunis pour qu’elles se reconnaissent malgré leurs différences: même classe parmi 200 élèves, promo Paris 2023-2024 dans le monde merveilleux de Desmond!

Elles se rencontrent, partagent leur expérience autour d’une Ratatouille (parce que oui, manger c’est la culture), comprennent leurs mêmes motivations, leur même combat.

Salomé et Maylis, c’est nous. Depuis, nos discussions ne s’arrêtent pas!

Quel rôle joue l’accès à la culture dans la carrière professionnelle? L’éducation se limite-t-elle à son parcours scolaire? Peut-on qualifier l’art de rue comme un art reconnu? Y’a-t-il un groupe social complètement acculturé? Est-ce que l’ascension sociale est possible? Pourquoi certaines personnes pensent qu’on a envie d’entendre leur musique rincée sur leur enceinte dans les transports en commun? A quel moment un mec s’est dit en voyant une huître qu’il allait ouvrir ce caillou chelou et manger la morve à l’intérieur?

Et si on examinait comment les différences socio-culturelles, les disparités géographiques et le capital économique pourraient influencer la trajectoire professionnelle de chacun? (promis, l’huître c’est pas la priorité)

Animées d’équité, comprendre aussi comment nous pourrions contribuer à créer des opportunités équitables pour tous les individus, indépendamment de leur contexte socio-culturel. Et de leurs résultats scolaires!

Une belle aventure humaine et intellectuelle à vous faire vivre. Êtes-vous prêt à la rejoindre?

Cordialement,

Maylis & Salomé

(PS : dites oui svp).

Alors ?

Je ne sais pas vous… Mais pour moi, en dehors d’être mignon, c’est aussi très réfléchi. Et avec de vrais questionnements. Ça contrebalance très bien mon récent article Médiocrité de la culture générale de la nouvelle génération. Et j’en suis sinserement ravi.

Общая культура и посредственность общества. Médiocrité de la culture générale de la nouvelle génération
Médiocrité de la culture générale de la nouvelle génération

Mais en l’occurrence, ce sont deux filles de 23 ans! Si seulement toute la nouvelle génération était comme elles, ça serait le pays des merveilles. Et d’ailleurs, si tous les membres de la société se posaient des questions semblables, ça serait un miracle.

Alors, comment refuser une thèse qui touche en plein cœur les vrais problèmes de l’actualité sociétale? Comment rester insensible à une telle lettre de deux étudiantes que je n’ai presque pas entendu pendant mon cours d’Intelligence Sociale, mais qui, en sortant, m’ont contacté (avant tous les autres) avec leur sujet en tête?

Maintenant, rendez-vous à la soutenance. Quel sera le fruit de leur recherche et quelles en seront les conclusions du haut de leur 23 ans, et du point de vue de leur génération, dont, moi, à mes (maintenant) 46 ans, je suis de plus en plus loin. Moi qui commence — pour cette génération et celles qui suivront — à basculer dans le camp des vieux cons, qui réfléchissent à l’ancienne. Voire qui n’ont rien compris à la vie…

Si vous avez trouvé une faute d’orthographe, faites le nous savoir en sélectionnant ce texte et en appuyant sur Ctrl+Entrée.

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